(I) Comment sommes-nous dépossédés de la démocratie Par Jacques Sapir (testo tradotto)

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tratto da http://russeurope.hypotheses.org/

Traduzione di Giuseppe Germinario

25 janvier 2013

 

hayekCette note ouvre une série de papiers consacrés au problème de la légitimité et de la légalité qui me sont venus à l’esprit à la lecture d’un article de RageMag[1] sur le rôle de la violence. Ils poursuivent une réflexion ancienne, menée dans des livres comme Les économistes contre la démocratie (Albin Michel, Paris, 2002) et Quelle économie pour le XXIe siècle (Odile Jacob, Paris, 2005).

La question de la légalité et de la légitimité est directement posée aujourd’hui par l’irruption du Constitutionnalisme économique, qui était jusqu’à ces dernières années un sujet pour spécialistes mais qui est devenu désormais un objet politique en débat. Le développement d’instances de décision économiques (comme la Banque Centrale Européenne) qui sont déconnectées de tout contrôle démocratique, l’idée aujourd’hui répandue qu’un « gouvernement par les règles » pourrait se substituer à un gouvernement du peuple (comme dans la construction européenne), sont des exemples de cette entrée du constitutionnalisme économique dans notre vie[2]. La notion de Constitution économique plonge ses racines dans la pensée de F.A. Hayek. La conception hayekienne des règles, qui fonde son adhésion au constitutionalisme économique, a été souvent reprise même par des courants économiques qui se fondent en réalité sur des hypothèses fort différentes. Il est ainsi piquant de voir des économistes néoclassiques se réclamer désormais du constitutionnalisme économique, eux qui, par construction, réfutent le rôle des règles car ils ne croient qu’à la maximisation des choix individuels et réfutent le principe même de l’incertitude. On retrouve l’importance de la notion de Constitution économique dans l’école américaine du Public Choice[3], mais aussi dans différents mouvements politiques comme le Tea Party.

L’école du Public Choice est certainement celle qui a le plus formalisé ce constitutionnalisme économique[4].Elle n’est d’ailleurs pas une simple transcription dans la culture universitaire et économique des États-Unis des thèses de F.A. Hayek. Mais, la position de Buchanan n’est pas plus cohérente. Supposer qu’un libre contrat puisse complètement et totalement lier les parties prenantes suppose que les parties prenantes avaient une connaissance parfaite des conséquences de leurs actes quand le contrat fut signé, et qu’elles partageaient parfaitement les mêmes critères d’évaluation. Cependant, si tel était le cas, les règles ne se justifieraient plus. Les relations entre individus seraient assimilables à de pures réactions mécaniques, et l’on retombe dans les errements les plus évidents du modèle néoclassique.

Il y a donc bien aujourd’hui une convergence vers cette idée de Constitution, en provenance de courants de pensée souvent très différents. Ces démarches sont pourtant théoriquement très fragiles, même sans contester en amont le mode de sélection des règles. Trois types d’arguments surgissent dès que l’on cherche à prendre au sérieux la démarche “constitutionnaliste” hayekienne.

Les arguments classiques

Ces derniers sont au nombre de trois : l’argument de stabilité du choix, l’usage d’une métaphore avec le système politique pour « justifier » l’existence d’une Constitution économique et l’argument dit « d’opérationnalité», soit l’efficacité de cette « Constitution » quand bien même elle violerait les principes de la décision démocratique.

L’argument de la stabilité du choix

Il y a tout d’abord l’argument de la stabilité du choix qui serait garanti par l’existence de ces règles. On oppose alors cette stabilité à l’instabilité qu’engendrerait l’action discrétionnaire. Mais, comme le montre l’histoire des traités de limitation des armements, les règles organisatrices peuvent être un puissant facteur d’instabilité[5]. Chaque fois que des prohibitions sur certaines armes ont été édictées et respectées, ne serait-ce que temporairement, on a assisté à une prolifération d’innovations visant à tourner ces prohibitions. Le traité naval de Washington en 1922 en est un bon exemple[6]; il a ainsi engendré les torpilles à longue portée de la marine japonaise et le développement de son aviation navale, les cuirassés de poche allemands, et un projet d’hybride entre le croiseur et le porte-avions qui fut bien près d’être construit aux États-Unis. Le traité de limitation des vecteurs nucléaires START 1 entre les États-Unis et l’URSS a engendré la généralisation des têtes multiples (les MIRV) et la redécouverte des missiles de croisière, comme moyens de contourner les plafonds de vecteurs établis dans les traités. Outre les innovations, les traités navals des années vingt ont favorisé des stratégies de dissimulation (les gouvernements japonais, allemands et italiens déclarant des valeurs sous-estimées de tonnage pour certaines unités). Ces dernières, introduisant une incertitude sur la nature réelle des forces, ont encouragé la course aux armements et la rupture du cadre des dits traités. C’est la nature juridique de la démarche qui a favorisé des stratégies de contournement pouvant se révéler profondément déstabilisatrices. Au contraire, l’autolimitation réciproque engendrée par la crainte d’une l’action discrétionnaire de riposte aboutit à une situation plus stable, comme on a pu le voir lors du traité ABM entre les États-Unis et l’URSS. Tant que les premiers ont eu à craindre une riposte de la seconde, l’interdiction portant sur les systèmes anti-missiles a été globalement respectée. Ce n’est qu’à la faveur de l’affaiblissement de l’URSS, puis de son éclatement, que des projets d’anti-missiles ont pu réapparaître.

Un système de règles organisatrices ne joue un rôle stabilisant que quand il peut s’appuyer sur l’expression d’un pouvoir discrétionnaire légitime. Un tel système ne permet nullement de faire l’économie d’une justification en légitimité, et par là en souveraineté; il place au contraire la question du mode d’organisation au sein même de l’espace politique où ces justifications dominent. Si Hayek a cru pouvoir, à travers l’analogie avec les mécanismes constitutionnels, éviter un contact entre économie et politique, il a clairement fait fausse route.

L’argument du rôle organisateur des Constitutions

En deuxième lieu, on trouve un argument basé sur l’analogie entre le système politique et le système économique. Le système politique a besoin d’une constitution, et d’une hiérarchie des normes : règles constitutionnelles, lois, règlements. On en déduit que le fonctionnement des marchés serait meilleur si les acteurs doivent fonctionner en leurs seins dans des cadres qu’ils ne peuvent modifier. D’où, bien entendu, l’idée de soustraire à la décision politique la fixation de ces cadres pour assurer, ici encore, une stabilité des décisions des acteurs.

Mais on est fondé à penser que la comparaison entre un système de règles économiques et une Constitution politique repose en réalité sur deux erreurs. La première consiste à croire que c’est la Constitution qui crée la stabilité du cadre politique. Si on regarde la vie politique française, on peut constater que c’est l’inverse. Tant que perdurent des affrontements fondamentaux sur la forme du régime politique et la distribution du pouvoir, les constitutions durent peu. Il faut signaler que la plus fragile en l’apparence, celle de la Troisième République, qui est largement issue d’un vote de circonstance, a connu une longue durée de vie (69 ans). Mais ceci résulte avant tout d’un consensus préalable, résultant d’un apprentissage collectif progressif entre 1848 et la fin du Second Empire, en faveur du parlementarisme. À l’inverse, la Constitution de la IVème République n’a pas résisté à la dislocation du consensus des années 1944/1946. Le contre-exemple apparent, la Constitution américaine, qui du premier coup a atteint les deux siècles de durée, oublie deux réalités. La première est la facilité avec laquelle cette Constitution peut être amendée, parfois même dans des sens contradictoires. La seconde est qu’elle n’a pas évité aux États-Unis l’horreur d’une guerre civile. L’autre erreur consiste à croire que l’on peut assimiler le jeu politique ou stratégique, où d’emblée on est présence d’un nombre d’acteurs réduit (partis ou États) et l’économie où le nombre des acteurs est infiniment plus grand.

Ces deux erreurs renvoient à une incompréhension de certains mécanismes politiques. Dans une Constitution, on trouve en même temps des clauses structurelles et des clauses de droit[7]. Les clauses structurelles visent à l’organisation de l’espace de débat; elles concernent les modalités d’élection, de vérification, de fonctionnement du système politique au sens le plus réduit du terme. Ces clauses sont très certainement des règles organisatrices, qui évitent que certaines questions soient interminablement rediscutées à chaque occurrence. Il est ainsi parfaitement légitime de débattre régulièrement du mode de scrutin, et ce dernier peut être modifié. Ceci était bien vu par des auteurs comme T. Jefferson ou J. Locke pour qui les décisions d’une génération ne pouvaient lier la suivante[8]. Mais, en le mettant dans une Constitution, on évite de le voir rediscuté à chaque nouvelle élection. Les clauses de droit visent, elles, à exclure de la sphère du choix majoritaire certaines décisions, dans le but de protéger les droits individuels. Il est clair que, chez Hayek, on a une confusion entre ces deux dimensions d’une Constitution, entre clauses structurelles et clauses de droit. Si, maintenant, on regarde la question des clauses de droit, on peut les considérer de manière essentialiste ou fonctionnaliste. La tradition libérale s’appuie en général sur une interprétation essentialiste; les droits à protéger sont ceux qui découlent d’une nature humaine intangible et préexistante à toute société. Si on refuse une vision essentialiste, on n’est pas quitte pour autant de la question des clauses de droit. Dans une vision fonctionnaliste qui s’inspirerait d’une analyse des limites cognitives des individus, on serait parfaitement fondé à considérer que l’exclusion de certaines questions du champ politique est une condition de son bon fonctionnement. Tel est le fondement que Stephen Holmes donne aux règles d’autolimitation qu’il appelle des gag-rules (ou littéralement règles baillons)[9].

La volonté de dépolitiser par le constitutionnalisme économique le processus d’émergence des règles pose alors un problème majeur de cohérence. Une justification possible à la réduction du choix démocratique peut être l’application du principe de décision scientifique. Il est clair que les économistes qui ont contribué aux statuts retirant la politique monétaire du domaine du choix démocratique par l’indépendance des Banques Centrales sont d’accord pour croire qu’il existe une “science” économique permettant de définir à coup sûr les décisions justes[10]. Mais, du point de vue de F.A. Hayek lui-même, ceci ne peut être que l’expression la plus obscène du scientisme qu’il a maintes fois dénoncé. Sur ce point, on ne lui donnera pas tort. Une autre possibilité consiste à considérer que les règles ne font qu’exprimer des lois naturelles[11]. Mais, si de telles lois existent, alors l’ordre spontané dont F.A. Hayek se fit le héraut n’est nullement spontané mais préexistant aux décisions humaines. Si, à défaut d’une ergodicité économique postulée par P. Samuelson[12], on postule une ergodicité sociale sans pouvoir la démontrer[13], on ne peut plus justifier le marché comme mode optimal de sélection des règles. C’est le marché lui-même qui devient une règle prédéterminée et à laquelle il importe de ne pas toucher. Dans ce cas, on se fonde sur une vision essentialiste de la société qui prédétermine le mode de coordination. À quoi bon dans ces conditions parler de liberté? On voit bien l’intérêt pour certains de cette solution, mais il faut dire qu’il s’agit d’un intérêt particulier et non d’un intérêt collectif.

L’argument d’opérationnalité

Il reste un troisième argument, celui de l’opérationnalité des règles extériorisées face au débat démocratique. Cet argument doit être abordé sans naïveté. Nous savons que les systèmes démocratiques sont loin d’être parfaits, et qu’ils peuvent aboutir à des situations de blocages récurrentes. Ne vaudrait-il pas mieux, dans ce cas des règles, même édictées de manière non-démocratique, mais susceptibles de fonctionner opérationnellement plutôt que le chaos induit par le blocage du système politique ?

On peut cependant s’interroger sur l’opérationnalité réelle d’une règle constitutionnelle en économie. La limitation de l’action discrétionnaire du gouvernement peut conduire à la catastrophe comme le montre l’exemple de l’Autriche dans les années vingt et trente[14]. Ce pays avait connu, immédiatement après le premier conflit mondial, une grave crise hyperinflationniste. Les gouvernants avaient cru bon devoir introduire dans la nouvelle Constitution du pays l’interdiction du déficit budgétaire. Ceci se traduisit, dans un premier temps, par un succès évident et l’Autriche retrouva la stabilité monétaire. Il arriva, dans la seconde moitié des années vingt, que le système bancaire autrichien connut une crise grave qui était largement prévisible car le pays avait hérité des grands établissements financiers de l’ex-empire Austro-Hongrois. Ses banques avaient bien du mal à survivre sur un espace désormais fragmenté.CreditAnstalt-300x190

Le gouvernement autrichien dû, à la suite de cette crise bancaire, procéder à une recapitalisation du principal établissement financier ; rien de plus normal[15]. Seulement, pour prendre une telle mesure, le gouvernement autrichien dû prévoir en cours d’exercice des dépenses supplémentaires et ainsi enfreindre la Constitution. Pour ne pas provoquer de crise politique, il décida de tenir secrète cette décision. Le secret fut éventé, détruisant rapidement la réputation du gouvernement et conduisant à une nouvelle crise monétaire grave. Le déficit budgétaire consenti pour recapitaliser le système bancaire autrichien était en réalité insignifiant, et bien incapable par lui seul d’induire une déstabilisation massive. Mais, ce qui compta fut le manquement à la règle et non l’ampleur de l’infraction à cette dernière. On voit ici que, pour acheter à bon compte une réputation monétaire, les autorités autrichiennes s’étaient mises dans une situation les privant de capacité de réaction face à de nouvelles crises.

Ce que nous enseigne la célèbre crise de la CreditAnstalt[16], car c’est d’elle qu’il s’agit, c’est que nul pouvoir ne saurait prévoir la nature des crises à venir. Il n’y a rien de plus hayékien d’ailleurs que cette constatation. Sa conséquence cependant c’est qu’il faut laisser au pouvoir sa liberté d’action discrétionnaire. Pour qu’un système de règles constitutionnelles puisse remplacer une telle action il faudrait soit que la totalité des crises futures aient été prévues et inscrites dans les règles, soit que l’on ait la certitude que ces règles pourront être changées à un rythme compatible avec celui des événements de la crise. Mais, pour avoir une certitude en cette matière, il faudrait aussi connaître le déroulement de ces crises à venir. Comme cette connaissance nous manque (du fait de l’existence de l’incertitude qui justifie en réalité l’existence de règles) et que dans la réalité nous disposons d’expériences contraires montrant l’incapacité des règles à se modifier d’elles-mêmes, chaque acteur, même le plus convaincu par la logique formelle du raisonnement hayékien, peut supposer qu’il existera une fraction non négligeable de la société pour faire pression en faveur d’un retour à l’action discrétionnaire en cas de crise. Comme nous ne connaissant pas non plus l’issue de cette pression, on ne peut à priori écarter à son succès. L’agent rationnel doit alors intégrer à son comportement la possible interférence de l’action gouvernementale. Il considérera alors logiquement les règles comme potentiellement discutables. Ces dernières ne pourront peser sur son comportement dans le sens voulu par le raisonnement hayékien. En d’autres termes, le recours à la règle constitutionnelle en économie, sauf à proférer des hypothèses d’omniscience, ne fait pas disparaître le risque d’incertitude radicale. Par contre, en omettant d’organiser une voie de sortie par la reconnaissance de la légitimité de l’action discrétionnaire, qui est elle même issue d’un pouvoir démocratique, ce recours à la règle constitutionnelle institue une incertitude supplémentaire, celle sur les conséquences de l’émergence de la solution à la crise.

L’évaluation des conjectures nécessaires et le problème de leur cohérence

Le constitutionnalisme économique, et plus généralement la démarche visant à confier à des collèges d’experts des décisions économiques au détriment de la représentation populaire et démocratique, repose sur un certain nombre de conjectures. Ces dernières doivent être explicitées en séparant clairement deux problèmes, celui de la nécessité des règles, qui découle de l’existence de l’incertitude[17], et celui de leur supposée extériorité par rapport au champ politique.

Les conjectures indispensables et les conjectures nécessaires

En premier lieu, il faut donc supposer que les règles sont nécessaires à la décision des agents, et que ces décisions ne résultent pas d’une maximisation de l’utilité espérée, pour reprendre le jargon de la théorie économique[18]. Il faut ensuite supposer que l’extériorité de ces règles vis-à-vis du groupe ou de la communauté des acteurs, que cette extériorité soit totale ou relative, est une condition de l’efficacité du système de règles. On a déjà ici deux conjectures, appartenant à une même logique. On nommera A1 la conjecture portant sur la nécessité des règles, et respectivement A2 et A2′ les conjectures portant sur l’extériorité de ces règles par rapport au groupe, suivant qu’elle est totale (A2 : les membres du groupe régi par ces règles ne peuvent les modifier) ou relative (A2′ : une modification est possible, mais difficile).

Par ailleurs, il faut supposer que la fonctionnalité, ou l’efficacité, d’une règle est suffisante en elle-même pour asseoir son autorité sur l’ensemble, ou du moins la majorité des acteurs du groupe concerné. Le respect de la règle l’emporte sur la question de son origine, et la question des formes à respecter devient dès lors principale par rapport à la procédure qui a donné naissance à cette règle. On nommera cette conjecture B.

Il est facile de montrer que A2 et A2′ impliquent A1 sans que le contraire soit nécessairement vrai. De nombreux économistes tels John Commons[19], J.M. Keynes ou Gunnar Myrdal[20], ont considéré que l’existence de règles était nécessaire, s’accordant sur ce point avec Hayek[21]. Pour autant ils n’ont pas défendu des positions du type du constitutionnalisme économique. La capacité des participants à modifier les règles, à les transformer, était, pour ces économistes, une condition importante de l’efficacité du système. Cette capacité impliquait alors le débat public et l’action gouvernementale au minimum. En fait, comme démontré par François Guizot[22] (mais aussi par John Commons) il faut y ajouter l’action collective. Si l’affirmation d’une hypothétique nécessaire extériorité des règles passe par l’affirmation de leurs nécessité d’existence, cette dernière affirmation n’implique nullement l’affirmation de l’extériorité.

La justification du principe d’extériorité des règles

Pour passer de A1 à A2 il faut mobiliser d’autres hypothèses, en particulier sur le comportement des agents. Par contre, il est clair que la conjecture A1 est, elle, directement liée à une analyse des capacités cognitives des agents. Cette conjecture A1 est celle qui oppose les hétérodoxes aux néoclassiques. Affirmer que nous ne pouvons décider sans règles revient en effet à rejeter les hypothèses de l’information parfaite de la théorie néoclassique[23]. Ces règles peuvent, par ailleurs, se révéler n’être que des procédures qui, pour reprendre les propres termes de J.M. Keynes “sauvent nos faces en tant qu’agents économiques rationnels[24]“. Cette conjecture fonde le paradigme institutionnaliste et justifie la notion de rationalité procédurale opposée à celle de rationalité maximisatrice[25].

Par ailleurs, la conjecture A2 , celle qui suppose qu’une extériorité totale des règles est nécessaire, implique nécessairement une nouvelle conjecture B. Pour pouvoir fonder une extériorité totale de la règle par rapport au groupe qu’elle régit, il faut pouvoir démontrer que la fonctionnalité d’une règle est totalement suffisante pour fonder sa légitimité. Autrement dit, cette règle reste opératoire quelles que soient les circonstances. Mais cela implique ou que les personnes qui ont conçu cette règle sont omniscientes, ou que nous sommes toujours confrontés aux mêmes problèmes, autrement dit que nous sommes dans une sorte d’état stationnaire. On arrive alors rapidement à un raisonnement circulaire comme l’a montré Oskar Morgenstern[26]. Ces deux points sont aisément réfutables, même si l’on voit bien que le premier (des concepteurs omniscients) est le fondement même de toute théorie d’un gouvernement d’experts. Par contre, A2′ , hypothèses qui implique que les règles peuvent être modifiées dans certaines conditions et sous certaines contraintes, peut survivre à une réfutation de B.

La conjecture A2 forme la base du constitutionnalisme économique au sens strict du terme, quand le pouvoir politique ne peut plus intervenir sur les règles économiques par la loi ou le règlement. Dans ce cas, il n’y a plus de place pour la politique. L’espace de discussion est entièrement absorbé soit par la logique technique (et donc la fameuse ingénierie institutionnelle chère à Élie Cohen[27]) soit par la compassion morale devant les effets des mesures (voir les pleurs d’Olivier Blanchard[28], devenu ci-devant un des maîtres à penser du FMI). La conjecture B est donc nécessaire à toute démarche visant à extérioriser certaines décisions économiques de la sphère du politique.

Le problème latent du positivisme juridique

Si, à l’évidence, ces deux problèmes sont liés, ils justifient cependant des discussions clairement séparées dans la mesure où la totalité des conjectures A n’est pas dépendante de B.

La conjecture B, signifie la naturalisation de l’économie.

La conjecture A2 ne pose aucun problème, sauf à un économiste néoclassique. La conjecture B, elle, ne peut être discutée qu’à partir d’une évaluation de ce que signifie la légitimité des règles et de pourquoi une telle notion est capitale. Au-delà, c’est tout le raisonnement qui considère que le seul respect des procédures, la légalité, est suffisant qui est en cause. Le point est essentiel. Il nous renvoie à la conclusion de la première partie de ce texte, soit les contradictions qui sont repérables au sein même du raisonnement du constitutionnalisme économique.

Hayek, qui est à l’origine de l’engouement pour le constitutionnalisme économique, a pris conscience, vers la fin de sa vie, de cette contradiction. Il a admis, dans un ouvrage de 1979, la nécessité d’avoir une souplesse décisionnelle dans le domaine des règles économiques[29], sans quoi l’ordre spontané était susceptible d’aboutir au chaos[30]. À cet effet, il a imaginé un système politique complexe où l’autorité déterminante serait confiée à une assemblée élitiste ressemblant fort à un tribunal[31]. Cette assemblée devait être guidée par l’expérience de ses membres et par l’existence de normes immanentes qui trouvent leur origine dans un ralliement à la philosophie de Kant[32].

Cette solution ne fait que renforcer les contradictions de la pensée de Hayek. La compatibilité entre des normes immanentes et un fonctionnement pluraliste de la société implique une homogénéité des agents et de leurs situations qui est inexistante dans les sociétés modernes. Il faut alors choisir entre l’abandon du pluralisme, le ralliement à la tradition, mais qui est explicitement répudié par Hayek[33], ou l’abandon de l’idée de normes morales immanentes et la reconnaissance de l’hétérogénéité comme principe fondamental des sociétés modernes[34] avec sa conséquence logique : le principe du conflit et de l’action collective pour faire émerger de nouvelles règles. Seulement, si on adopte cette attitude, qui est le coeur même de la démarche de Hayek, il faut alors renoncer aux solutions qu’il propose et en particulier à sa volonté permanente de détrôner la politique[35].

Au moment où la question des cadres politiques, la gouvernance, est devenue un point de passage obligé du discours économique, force est de constater que ce que l’on nomme gouvernance démocratique n’est le plus souvent que le simple respect de la légalité. Les relations entre ces deux notions, légalité et légitimité, doivent donc être explorées pour comprendre ce qui se passe derrière l’apologie des Constitutions économiques, et qui n’est autre qu’une refiguration par les économistes du positivisme juridique de Hans Kelsen[36].

Lire la suite : (II) Légalité, légitimité et les apories de Carl Schmitt

Citation

Jacques Sapir, “(I) Comment sommes-nous dépossédés de la démocratie”, billet publié sur le carnet Russeurope le 25/01/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/763

 


[1] A. Scheuer, « Est-il interdit de penser la violence ? », RageMag, http://ragemag.fr/est-il-interdit-de-penser-la-violence/

[2] Et qui est même théorisé par certains économistes : J.B. Taylor, Getting Off Track. How Government Actions and Interventions Caused, Prolonged and Worsened the Financial Crisis, Hoover Institution Press, Staford, 2009.

[3] J.M. Buchanan et G. Tullock, The Calculus of Consent : Logical Foundations of Constitutionnal Democracy, Univ. Of Chicago Press, 1962. James Buchanan est décédé le 9 janvier 2013.

[4] J.M. Buchanan, The Limits of Liberty, Chicago University Press, Chicago, 1975, p.194; Idem, Freedom in Constitutional Contract, Texas A&M university Press, College Station, Tx, 1977, p. 125 et p. 293.

[5] G.W.Downs & D.M.Rocke, Tacit Bargaining, Arms Races and Armes Control, The University of Michigan Press, Ann Arbor, Mich., 1990.

[6] R.A.Hoover, Arms Control: The Interwar Naval Limitation Agreements, Denver Monoghraph Series in World Affairs, University of Colorado, Dever, Co., 1980; E.Goldman, The Washington Naval Treaty, Ph.D., University of Stanford, Stanford, Ca., 1989.

[7] Voir C.R. Sunstein, “Constitutions and Democracies: an epilogue”, in J. Elster & R. Slagstad, Constitutionalism and Democracy, Cambridge University Press, Cambridge, 1993 (1988), pp. 327-356.

[8] T. Jefferson, “Notes on the State of Virginia”, inWritngs – edited by M. Peterson, Library of America, New York, 1984. J. Locke, Two Treatise of Governments, Mentor, New York, 1965, Livre II, ch. 8.

[9] S. Holmes, “Gag-Rules or the politics of omission”, in J. Elster & R. Slagstad, Constitutionalism and Democracy, op.cit., pp. 19-58.

[10] Goodfriend M., et R.G. King, (1997), “The New Neoclassical Synthesis and the Role of Monetary Policy” in Bernanke B.S., and J.J. Rotemberg (edits), NBER Macroeconomic Annual 1997 , MIT Press, Cambridge, MA .

[11] Comme chez R. Lucas et T.J. Sargent, Rational Expectations and Econometric Practices , University of Minnesota Press, Minneapolis, 1981, pp. XII – XIV.

[12] P.A. Samuelson, “Parable and Realism in Capital Theory: The Surrogate Production Function”, in Review of Economic Studies , vol. XXX, (juin 1962), pp. 193-206. Idem, “Classical and Neoclassical Theory” in Monetary Theory , edited by R.W. Clower ,Penguin Books, Londres, 1969.

[13] P. Mirowski, “How not to do things with metaphors: Paul Samuelson and the science of Neoclassical Economics”, in Studies in the History and Philosophy of Science , vol. 20, n°1/1989, pp. 175-191.

[14] A. Schubert, The Credit-Anstaly Crisis of 1931, Cambridge University Press, Cambridge, 1991.

[15] Voir, Moessner, R et Allen, W. A. (Decembre 2010). “Banking crises and the international monetary system in the Great Depression and now”. BIS Working Papers (Bank for International Settlements ) n°333, 2010.

[16] E. März, Austrian Banking and Financial Policy: Credit-Anstalt at a Turning Point, 1913-1923, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1984.

[17] P. Davidson, “Some Misunderstanding on Uncertainty in Modern Classical Economics”, in C. Schmidt (ed.), Uncertainty and Economic Thought , Edward Elgar, Cheltenham, 1996, pp. 21-37.

[18] Cette maximisation implique des critères stricts qui ne sont jamais remplis. Voir, J. Sapir, Quelle économie pour le XXIe siècle ?, Odile Jacob, Paris, 2005, chap. 1.

[19]  J.R. Commons, Institutional Economics. Its Place in Political Economy, Transaction Publishers (reprint), 1996, édition originale en 1924.

[20] G. Myrdal, The Political element in the Development of Economic Theory, publié initialement en suédois en 1930, Harvard University Press, Cambridge, Mass., 1954 pour la traduction en langue anglaise.

[21] F.A. Hayek, The Constitution of Liberty , University of Chicago Press, Chicago, 1960,

[22] F. Guizot, Histoire de la Civilisation en Europe, reed. Du texte de 1828, Hachette, coll. « Pluriel », 1985, p. 182.

[23] O. Morgenstern, “Perfect foresight and economic equilibrium”, in A. Schotter, Selected Economic Writings of Oskar Morgenstern, New York University Press, New York, 1976, pp. 169-183. Publié originellement en allemand in Zeitschrift für Nationalökonomie, vol. 6, 1935

[24] J.M. Keynes, Collected Writings, vol. XIV – The General Theory and After, part II. Defense and Development , Macmillan, Londres, 1973, p. 114. Sur ce point, voir aussi A.M. Carabelli, On Keynes’s Method , Macmillan, Londres, 1988.

[25] H.A. Simon, “Theories of bounded rationality”, in C.B. Radner et R. Radner (eds.), Decision and Organization, North Holland, Amsterdam, 1972, pp. 161-176; Idem, “From Substantive to Procedural Rationality”, in S.J. Latsis, (ed.), Method ans Appraisal in Economics, Cambridge University Press, Cambridge, 1976, pp. 129-148. Voir aussi A. de Groot, Thought and Choice in Chess , Mouton, La Haye, 1965

[26] O. Morgenstern, “Perfect foresight and economic equilibrium”, op.cit..

[27] E. Cohen, L’ordre économique mondial – Essai sur les autorités de régulation, Fayard, Paris, 2001

[28] O. Blanchard, “Lutte des classes et globalisation” in Libération, rubrique Rebonds, 11 juin 2001.

[29] F.A. Hayek, The Political Order of a Free People, Law, Legislation and Liberty, vol 3, Univ. Of Chicago Press, 1979, Chicago, Ill..

[30] Idem, pp. 41-44.

[31] Idem, pp. 116-119.

[32] F.A. Hayek, The Mirage of Social Justice Law, Legislation and Liberty, vol 2, Univ. Of Chicago Press, 1976, Chicago, Ill.

[33] F.A. Hayek, The Constitution of Liberty, op.cit., 1960, p.398.

[34] Sur ce point, voir C. Larmore, Patterns of Moral Complexity, Cambridge University Press, Cambridge, 1987, en particulier le chapitre 6.

[35] A ce sujet voir la très pertinente critique de R. Bellamy, “Dethroning Politics: Liberalism, Constitutionalism and Democracy in the Thought of F.A. Hayek”, in British Journal of Political science, vol. 24, part. 4, Octobre 1994, pp. 419-441.

[36] H. Kelsen, Théorie générale des normes, PUF, Paris, 1996, Paris, traduction d’Olivier Beaud


 

Jacques Sapir

Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s’est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

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(I) Come siamo deprivati ​​della democrazia

25 gennaio 2013

Di Jacques Sapir

La presente nota inaugura una serie di articoli dedicati al problema della legittimità e della legalità che ha catturato la mia attenzione dopo aver letto un articolo di RageMag [1] sul ruolo della violenza. Proseguono una antica riflessione sviluppata in libri come Les économistes contre la démocratie (Albin Michel, Paris, 2002) e Quelle économie pour le XXIe siècle (Odile Jacob, Paris, 2005).

La questione della legalità e legittimità è direttamente rappresentata oggi dalla irruzione del costituzionalismo economico; un argomento fino a poco tempo fa riservato a specialisti, ma che ora è diventato oggetto di dibattito politico. Lo sviluppo di istanze decisionali economiche (come la Banca Centrale Europea) scollegate da qualsiasi controllo democratico, l’idea oggi diffusa che “il governo secondo le regole” potrebbe sostituirsi a un governo del popolo (come nella costruzione europea), sono esempi di questo ingresso del costituzionalismo economico nella nostra vita [2] . Il concetto di Costituzione Economica affonda le sue radici nel pensiero di F.A. Hayek. La sua concezione delle regole, la quale fonda la sua adesione al costituzionalismo economico, è stata spesso ripresa alla stessa maniera da correnti di pensiero economiche che si basano su ipotesi in realtà molto diverse. E’ quindi interessante osservare gli economisti neoclassici invocare ora il costituzionalismo economico; gli stessi che, per costruzione, rifiutano il ruolo delle regole perché non credono se non alla massimizzazione delle scelte individuali e rifiutano il principio stesso di incertezza. Si ritrova il rilievo del concetto di Costituzione Economica nella scuola americana di Public Choice [3] , ma anche in diversi movimenti politici come il Tea Party.

La scuola di Public Choice è certamente quella che ha più formalizzato il costituzionalismo economico [4] . Inoltre non è una semplice trascrizione nella cultura accademica e economica degli Stati Uniti delle tesi di F.A. Hayek. Ma la posizione di Buchanan non è più coerente. Supporre che un libero contratto possa completamente e totalmente vincolare le parti interessate contraenti, comporta  la perfetta conoscenza  delle conseguenze dei loro atti al momento della firma del contratto e una perfetta condivisione degli stessi criteri di valutazione ad opera delle stesse parti contraenti. Tuttavia, se questo fosse il caso, le regole non si giustificherebbero più. Le relazioni tra gli individui sarebbero assimilate  a pure reazioni meccaniche e si ricadrebbe negli errori più evidenti del modello neoclassico.

Vi è ora, quindi, una convergenza verso quest’idea di Costituzione, di correnti di pensiero spesso molto diverse. Questi approcci, tuttavia, sono teoricamente molto fragili, anche senza contestare a monte le modalità di selezione delle regole. Tre tipi di argomenti sorgono quando si cerca di prendere sul serio il processo “costituzionalista” di Hayek.

Gli argomenti classici

Questi ultimi sono tre: l’argomento della stabilità di scelta, l’uso di una metafora con il sistema politico per “giustificare” l’esistenza di una costituzione economica e l’argomento detto de “l’operatività”, cioè l’efficacia di questa “Costituzione”, anche quando essa stessa violerebbe i principi di decisione democratica.

L’argomento della stabilità di scelta

In primo luogo l’argomento della stabilità di scelta sarebbe garantita dall’esistenza di tali norme. Si oppone allora questa stabilità all’instabilità generata dall’azione discrezionale. Ma, come dimostra la storia dei trattati sul controllo degli armamenti, le regole organizzatrici possono essere un potente fattore di instabilità [5] . Ogni volta che i divieti di determinate armi sono state emanati e fatti rispettare, quand’anche temporaneamente, vi è stata una proliferazione di innovazioni destinate a aggirare tali divieti. Il Trattato Navale di Washington  nel 1922 ne è un buon esempio [6] ; ha generato i siluri a lungo raggio della Marina giapponese e lo sviluppo della sua aviazione navale, le corazzate tascabili tedesche e un progetto ibrido di incrociatore-portaerei,  molto vicino ad essere costruito negli Stati Uniti. Il trattato di limitazione di vettori nucleari START 1 tra gli Stati Uniti e l’Unione Sovietica ha portato alla diffusione di testate multiple (MIRV) e la riscoperta dei missili da crociera come mezzo per aggirare i limiti di vettori stabiliti nei trattati. Oltre alle innovazioni, i trattati navali degli anni venti hanno favorito strategie di dissimulazione (i governi di Giappone, Germania e Italia dichiaravano valori sottostimati della stazza di alcune unità). Queste ultime, introducendo elementi di incertezza circa la vera natura delle forze, hanno incoraggiato la corsa agli armamenti e la rottura del quadro di tali trattati. E’ la natura giuridica dell’approccio che ha favorito strategie di aggiramento con un potenziale profondamente destabilizzante. Al contrario, l’autolimitazione reciproca generata dal timore di una azione discrezionale di risposta porta ad una situazione più stabile, come abbiamo visto nel trattato ABM tra gli Stati Uniti e l’Unione Sovietica. Sin tanto che i primi hanno avuto di che temere una risposta della seconda, il divieto di sistemi anti-missile è stato generalmente rispettato. Solo con l’indebolimento e la successiva implosione dell’Unione Sovietica, alcuni progetti anti-missile hanno potuto riapparire.

Un sistema di regole organizzatrici non gioca un ruolo stabilizzante se non quando può appoggiarsi sull’espressione di un potere discrezionale legittimo. Tale sistema non permette assolutamente di determinare l’economia di una giustificazione in legittimità e attraverso essa in sovranità; pone, invece, la questione della modalità di organizzazione all’interno dello spazio politico in cui queste giustificazioni dominano. Se Hayek pensava di poter, attraverso l’analogia con i meccanismi costituzionali, evitare il contatto tra economia e politica, evidentemente aveva torto.

L’argomento del ruolo organizzatore delle Costituzioni

In secondo luogo, vi è un argomento basato sulla analogia tra il sistema politico e il sistema economico. Il sistema politico ha bisogno di una costituzione e di una gerarchia di norme: norme costituzionali, leggi e regolamenti. Se ne deduce che il funzionamento dei mercati sarebbe più funzionale se gli attori dovessero operare nel loro seno in un quadro che essi non possono cambiare. Da qui, ben inteso, l’idea di sottrarre alla decisione politica la determinazione di questi quadri per garantire,qui  ancora, una stabilità di decisioni degli attori.

Ma c’è ragione di pensare che il confronto tra un sistema di regole economiche e una Costituzione si basa in realtà su due errori. Il primo consiste nel credere che sia la Costituzione a creare un quadro politico stabile. Se guardiamo alla politica francese, possiamo vedere che è vero il contrario. Sino a quando persistono conflitti fondamentali sulla forma del regime politico e la distribuzione del potere, le costituzioni durano poco. Va notato che la più fragile in apparenza, quella della Terza Repubblica, ampiamente nata da un voto di circostanza, ha conosciuto una lunga durata (69 anni). Ma questo è principalmente il risultato di un consenso preliminare risultante da una assimilazione collettiva progressiva tra il 1848 e la fine del Secondo Impero, a favore del parlamentarismo. Al contrario, la Costituzione della Quarta Repubblica non ha resistito alla dislocazione del consenso negli anni 1944/1946. La controprova apparente, ad esempio, la Costituzione degli Stati Uniti che dalla proclamazione ha raggiunto due secoli di durata, dimentica due evidenze. La prima è la facilità con cui questa Costituzione può essere emendata, talvolta in maniera contraddittoria. La seconda è che non ha impedito agli Stati Uniti l’orrore di una guerra civile. L’altro errore è quello di credere che si può assimilare l’agire politico o strategico in cui contestualmente si registra la presenza di un numero ridotto di soggetti (partiti o Stati) all’economia in cui il numero di giocatori è infinitamente maggiore.

Entrambi gli errori rimandano ad una incomprensione di alcuni meccanismi politici. In una costituzione, si trovano al tempo stesso clausole strutturali e  clausole di diritto [7] . Le clausole strutturali mirano all’organizzazione dello spazio di dibattito e determinano le procedure elettorali, la verifica, il funzionamento del sistema politico nel senso più ridotto del termine. Tali clausole costituiscono certamente le regole organizzatrici tese a impedire la ridiscussione all’infinito di alcune questioni ad ogni occorrenza. È perfettamente legittimo discutere regolarmente della modalità di scrutinio; può essere cambiata. Ciò era ben visto da molti autori come T. Jefferson e J. Locke per i quali le decisioni di una generazione non potevano vincolare la successiva [8] . Ma mettendola in una Costituzione, si evita di vederla rimessa in discussione ad ogni nuova elezione. Le clausole di diritto mirano ad escludere dalla sfera delle scelte a maggioranza alcune decisioni al fine di tutelare i diritti individuali. E’chiaro che, in Hayek, c’è una confusione tra queste due dimensioni di una costituzione, tra le clausole strutturali e le clausole di legge. Ora, se guardiamo la questione delle clausole di legge, le si può considerare da un punto di vista essenzialista o funzionalista. La tradizione liberale si basa in generale sulla interpretazione essenzialista; i diritti da tutelare sono quelli derivanti dalla natura umana intangibile e preesistente a ogni società. Se si rifiuta una visione essenzialista, non ci si può esimere dalla questione delle clausole di legge. In una visione funzionalista ispirata da una analisi dei limiti cognitivi degli individui, sarebbe perfettamente giustificato considerare che l’esclusione di alcune questioni in campo politico sia un requisito indispensabile per il suo corretto funzionamento. Tale è il fondamento che dà Stephen Holmes alle regole di autolimitazione da lui definite gag-regole [9] .

Il desiderio di depoliticizzare attraverso il costituzionalismo economico il processo di emersione di norme pone un grave problema di coerenza. Una possibile giustificazione alla riduzione della scelta democratica può essere l’applicazione del principio di decisione scientifica. E’ chiaro che gli economisti che hanno contribuito allo statuto che prevede la rimozione della politica monetaria dal dominio della scelta democratica assicurando l’indipendenza delle banche centrali sono d’accordo nel credere che ci sia una “scienza” per definire certamente decisioni economiche corrette [10] . Ma dal punto di vista di FA Hayek stesso, questo non può che essere l’espressione più oscena di quello scientismo più volte da lui denunciato. Su questo punto, non gli si darà torto. Un’altra possibilità consiste nel considerare che le regole non esprimono che leggi naturali [11] . Ma se tali leggi esistono, allora l’ordine spontaneo di cui F.A. Hayek è diventato l’araldo non è in alcun modo spontaneo ma preesistente alle decisioni umane. Se, in mancanza di una ergodicità economica postulata da P. Samuelson [12] , si postula una ergodicità sociale senza essere in grado di dimostrarla [13] , non si può più giustificare il mercato come modo ottimale di selezione delle regole. E’ il mercato stesso che diventa una regola predeterminata e che è importante non toccare. In questo caso, ci si basa su una visione essenzialista della società che predetermina la modalità di coordinamento. Che senso ha in queste condizioni parlare di libertà? Si può vedere un certo interesse per alcune di queste soluzioni, ma devo dire che si tratta di un interesse particolare, non di un interesse collettivo.

L’argomento dell’operazionalità

Rimane un terzo argomento, l’operazionalità delle regole esternalizzate rispetto al dibattito democratico. Questo argomento deve essere affrontato senza ingenuità. Sappiamo che i sistemi democratici sono ben lungi dall’essere perfetti, e possono portare a situazioni di stallo ricorrenti. Non sarebbero meglio, in questo caso l’esistenza delle regole, anche se stabilite in maniera non democratica, ma suscettibili di funzionare operativamente piuttosto che il caos indotto dal blocco del sistema politico?

Tuttavia, ci si può interrogare sull’operatività effettiva di una regola costituzionale in economia. La limitazione dell’azione discrezionale del governo può portare al disastro come l’esempio dell’Austria negli anni Venti e Trenta [14] . Il paese aveva sperimentato subito dopo la prima guerra mondiale, una grave crisi iperinflattiva. I governanti avevano pensato bene di introdurre nella nuova costituzione del paese l’interdizione del deficit di bilancio. Ciò si era tradotto, in un primo tempo, in un chiaro successo e l’Austria aveva riacquistato la stabilità monetaria. Accadde che, nella seconda metà degli anni Venti, il sistema bancario austriaco subisse una grave crisi in gran parte prevedibile, in quanto il paese aveva ereditato le maggiori istituzioni finanziarie dell’ex impero austro-ungarico. Le sue banche bene o male avevano dovuto sopravvivere in uno spazio ormai frammentato.

Il governo austriaco aveva dovuto, dopo la crisi del sistema bancario, ricapitalizzare la principale istituzione finanziaria; niente di più normale [15] . Solo che, per compiere questo passo, il governo austriaco ha dovuto prevedere durante l’esercizio spese aggiuntive e così infrangere la Costituzione. Per non provocare una crisi politica, decise di tenere segreta la decisione. Il segreto fu rivelato, distruggendo rapidamente la reputazione del governo e trascinandolo verso una ulteriore grave crisi monetaria. Il deficit di bilancio necessario alla ricapitalizzazione del sistema bancario austriaco era in realtà insignificante e del tutto incapace da solo di indurre una destabilizzazione massiccia. Ma ciò che contava era la violazione della regola e non l’ampiezza dell’infrazione a quest’ultima. Vediamo qui che, per acquistare a buon mercato reputazione monetaria, le autorità austriache si erano messe in una posizione tale da privarle della capacità di rispondere a nuove crisi.

L’insegnamento da trarre dalla celebre crisi della Creditanstalt [16]   è che il potere non è in grado di prevedere la natura delle crisi future. Non c’è niente di più hayekiano del resto di questa constatazione. Tuttavia, la sua conseguenza è che si deve lasciare la libertà di azione discrezionale al potere. Perché un sistema di regole costituzionali sia in grado di sostituire tale azione dovrebbe essere in grado di prevedere tutte le crisi future e che esse siano iscritte nelle norme; che disponga inoltre della certezza che tali regole potranno essere modificate ad un ritmo compatibile con gli sviluppi della crisi. Ma, per avere una certezza in questa materia, dobbiamo anche conoscere il comportamento di queste crisi a venire; siccome ci manca questa conoscenza (a causa dell’esistenza di quella stessa incertezza che giustifica l’esistenza di regole in realtà) e, in realtà, abbiamo esperienze contrarie che mostrano l’incapacità delle regole di automodificarsi, ogni attore, pur il più convinto dalla logica formale del ragionamento di Hayek, può presumere che ci sarà una frazione significativa della società interessata a spingere per un ritorno alla azione discrezionale in caso di crisi. Dal momento che non si conosce l’esito di questa pressione, non si può escludere a priori il suo successo. L’agente razionale deve integrare nel suo comportamento l’interferenza possibile dell’azione di governo. Egli considererà allora logicamente le regole come potenzialmente discutibili. Queste ultime non possono influenzare il suo comportamento nella direzione desiderata dagli argomenti di Hayek. In altre parole, l’uso della norma costituzionale in economia, se non per pronunciare ipotesi di onniscienza, non elimina il rischio di incertezza radicale. Al contrario, omettendo di organizzare una via di uscita attraverso il riconoscimento della legittimità dell’azione discrezionale, essa stessa scaturita da un governo democratico, questo ricorso all’ordine costituzionale introduce ulteriore incertezza, quella sulle conseguenze dell’emergere della soluzione alla crisi.

La valutazione di congetture necessarie e il problema della loro coerenza

Il costituzionalismo economico, e più in generale l’approccio di affidare le decisioni economiche a degli esperti a scapito della rappresentanza popolare e democratica, poggia su una serie di congetture. Queste devono essere spiegate in modo chiaro separando due problemi: quello della necessità di norme, che deriva dalla presenza di incertezza [17]  e quello della loro esteriorità presunta in relazione al campo politico.

La congetture indispensabili e le congetture necessarie

In primo luogo, si deve presumere che le regole sono necessarie per la decisione di agenti e che esse non sono il risultato di massimizzazione dell’utilità attesa, per usare il gergo della teoria economica [18] . Dobbiamo quindi supporre che l’esteriorità di queste regole nei confronti del gruppo o della comunità di attori, questa esteriorità sia essa assoluta o relativa, è una condizione di efficacia del sistema di regole. Si hanno già qui due congetture, appartenenti alla stessa logica. Si nominerà A1 la congettura sulla necessità di regole e rispettivamente A2 e A2’ le congetture rivolte alla esteriorità di queste regole in relazione al gruppo, a seconda che si tratti di totale (A2: i membri del gruppo disciplinati da tali norme non possono modificarle) o relative (A2 ‘: un cambiamento è possibile, ma difficile).

Inoltre, si deve presumere che la funzionalità o l’efficacia di una regola è di per sé sufficiente a stabilire la propria autorità su tutti, o almeno sulla maggioranza dei giocatori del gruppo implicato. Il rispetto della regola prevale sulla questione della sua origine, e la questione delle forme da rispettare diventa principale in relazione al procedimento che ha dato luogo a questa regola. Si denominerà questa congettura B.

E’facile mostrare che A2 e A2’ implicano A1 senza che il contrario sia necessariamente vero. Molti economisti, tra questi John Commons [19], JM Keynes, Gunnar Myrdal [20] , hanno ritenuto necessario  l’esistenza di norme, in accordo con Hayek su questo punto [21] .  Non hanno però difeso posizioni del tipo del costituzionalismo economico. La capacità dei partecipanti di cambiare le regole, di trasformarle era, per questi economisti, una condizione importante per l’efficienza del sistema. Questa capacità, allora, implicava il dibattito  pubblico e l’azione di governo al minimo. Infatti, come dimostrato da François Guizot [22] (anche da John Commons), deve essere aggiunta l’azione collettiva. Se l’affermazione di una ipotetica necessaria esteriorità delle regole passa per l’affermazione della loro necessità d’esistenza, tale ultima affermazione non implica un’affermazione di esteriorità.

La giustificazione del principio di regole esteriorità

Per passare da A1 ad A2 si devono mobilitare altre ipotesi, in particolare sul comportamento degli agenti. Di contro, è chiaro che la congettura A1 è direttamente collegata a una analisi delle capacità cognitive degli agenti. La congettura A1 è quella che oppone gli eterodossi ai neoclassici. Affermare che non possiamo decidere senza regole porta in effetti a respingere le ipotesi di informazione perfetta della teoria neoclassica [23] . Tali regole possono inoltre rivelarsi non essere che le procedure le quali, per dirla con le parole di J.M. Keynes “salva i nostri volti in tanto che agenti economici razionali [24] . ” Questa congettura fonda il paradigma istituzionalista e giustifica la nozione di razionalità procedurale opposta a quella di razionalità massimizzatrice [25] .

Inoltre, la congettura A2, la quale implica che una esteriorità totale delle regole è necessaria, implica necessariamente una nuova congettura B. Per stabilire una esteriorità totale della regola in relazione al gruppo che essa governa, devono essere in grado di dimostrare che la funzionalità di una norma è del tutto sufficiente per stabilire la propria legittimità. In altre parole, questa regola continua a funzionare indipendentemente dalle circostanze. Ma questo implica che o le persone che hanno creato queste regole sono onniscienti, o che stiamo ancora sempre affrontando gli stessi problemi, vale a dire che siamo in una specie di stato stazionario. Si arriva così in fretta a un ragionamento circolare, come mostrato da Oskar Morgenstern [26] . Questi due punti sono facili da confutare, anche se è chiaro che il primo (onniscienti) è il fondamento stesso di ogni teoria di un governo di esperti. Per contro, A2’, l’ipotesi che implica che le regole possono essere modificate in determinate circostanze e in certi limiti, può sopravvivere a una confutazione di B.

La congettura A2 costituisce la base del costituzionalismo economico nel senso stretto del termine, quando il potere politico non può più intervenire nelle regole economiche con leggi o regolamenti. In questo caso, non c’è posto per la politica. Lo spazio di discussione è completamente assorbito sia dalla logica tecnica (e quindi la famosa ingegneria istituzionale cara ad Elia Cohen [27] ) sia dall’impulso morale per gli effetti delle misure (vedi i pianti di Olivier Blanchard [28] , diventato così uno dei maestri pensatori del FMI). La congettura B è quindi necessaria ad ogni tentativo di esternare alcune decisioni economiche dalla sfera politica.

Il problema latente del positivismo giuridico

Se, con ogni evidenza, questi due problemi sono correlati, tuttavia essi giustificano discussioni chiaramente separate nella misura in cui la totalità delle congetture A non dipende da B.

La congettura B, significa la naturalizzazione dell’economia.

La congettura A2 non pone alcun problema, se non ad un economista neoclassico. La congettura B, non può essere discussa che a partire  da una valutazione di ciò che significa la legittimità delle regole e del perché una tale nozione è fondamentale. Al di là, è l’intero ragionamento che considera sufficiente il solo rispetto delle procedure, la legalità, che è in causa. Il punto è essenziale. Ci rinvia alla conclusione della prima parte di questo testo ossia le contraddizioni che sono identificabili nel seno stesso del ragionamento del costituzionalismo economico.

Hayek, il personaggio all’origine della popolarità del costituzionalismo economico, ha preso coscienza, verso la fine della sua vita, di questa contraddizione. Ha ammesso in un libro, nel 1979, la necessità di garantirsi una flessibilità nel processo decisionale riguardanti le regole economiche [29] , senza la quale l’ordine spontaneo era suscettibile di sfociare nel caos [30] . A tal fine, ha messo a punto un complesso sistema politico in cui l’autorità determinante sarà affidata ad una assemblea elitaria molto somigliante ad una corte [31] . Questa assemblea doveva essere guidata dall’esperienza dei suoi membri e attraverso l’esistenza di norme immanenti che trovano la loro origine in un legame  con la filosofia di Kant [32] .

Questa soluzione non fa che rafforzare le contraddizioni del pensiero di Hayek. La compatibilità tra le norme immanenti e un funzionamento pluralista della società pluralistica implica una omogeneità degli agenti e delle loro situazioni inesistente nelle società moderne. È necessario scegliere tra l’abbandono del pluralismo, il ritorno alla tradizione, esplicitamente ripudiati da Hayek [33] , oppure l’abbandono dell’idea di norme morali immanenti e il riconoscimento dell’eterogeneità come principio fondamentale delle società moderne [34] con la sua logica conseguenza: il principio del conflitto e dell’azione collettiva per far emergere nuove regole. Soltanto, se si adotta questo atteggiamento, il cuore stesso del percorso di Hayek, si deve quindi rinunciare alle sue soluzioni e in particolare al suo impegno costante di detronizzare la politica [35] .

Nel momento in cui la questione del quadro politico, la governance è diventata un punto di passaggio obbligato del discorso economico, è chiaro che ciò che noi chiamiamo “ governance democratica” è più che altro il mero rispetto della legalità. La relazione tra questi due concetti, legalità e legittimità, deve essere dunque esaminato per capire cosa si sottende dietro l’apologia delle Costituzioni economiche; non è altro che una riproposizione fatta dagli economisti del positivismo giuridico di Hans Kelsen [36 ] .

Per saperne di più: (II) legalità, legittimità e aporie di Carl Schmitt