(III) Légalité, légitimité et l’ordre démocratique (con traduzione in calce)

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27 janvier 2013

Par Jacques Sapir , sur http://russeurope.hypotheses.org/767

traduzione di Piergorgio Rosso

Cette note s’insère dans une série de papiers consacrés au problème de la légitimité et de la légalité. Elle fait suite à (I) Comment sommes-nous dépossédés de la démocratie et à (II) Légalité, légitimité et les apories de Carl Schmitt et est suivie de (IV) Ordre démocratique, entre dictature, tyrannie et rébellion légitime.

Schmitt dénonce une immoralité foncière dans la démocratie parlementaire qui se révèlerait de manière éclatante dans ce qu’il considère comme la nécessaire confusion entre droit et loi dans ce qu’il appelle le « système démocratique ». À cette confusion, quand vient s’y ajouter le principe majoritaire, découle alors l’impossibilité d’établir le principe de résistance ou de rébellion. La loi est légitime car elle votée dans un cadre fixé lui-même par la loi, et les majorités décident des lois. Donc, tout ce que décide une majorité est toujours juste et légitime, et nul ne peut ni ne doit s’opposer à la majorité. La rébellion est alors toujours un crime, compte tenu de l’impossibilité à penser la tyrannie dans un tel système (sauf pour un pouvoir qui enfreindrait ses lois). Exprimée ainsi, nous avons, sous les habits de l’état de droit, la pire des tyrannies.

La pensée économique dominante emboîte alors le pas à Schmitt. Elle va prétendre trouver dans sa prétention à incarner une science, la justification de ses pratiques. Pour elle, le seul gouvernement apte à nous protéger de la « tyrannie » dont les majorités seraient inéluctablement porteuses dans un système sans morale serait un gouvernement des technocrates, incarnant la « rationalité » qui découle de la maximisation. Le technocrate se substitue au juge, et l’État administratif à l’État juridictionnel. Nous voilà pris entre deux feux. Soit nous donnons notre accord à un système intrinsèquement immoral et porteur de la tyrannie des majorités, soit nous remettons notre souveraineté entre les mains de l’expert (dans l’État administratif) ou du juge.

Il est alors logique de proclamer que la démocratie n’est plus que la liberté d’opinion et de discussion, dans l’organisation d’un immense espace de communications qui se démultiplie au gré des progrès de la technique (Facebook, Twitter).  Mais, ceci n’est possible qu’au prix de l’abandon du principe de décision. En retranchant la décision de la définition de la démocratie, on peut en effet prétendre qu’un tel système politique, où le pouvoir du peuple serait limité à la seule approbation de décisions savantes, reste démocratique. Mais à cet effet il faut pouvoir considérer la souveraineté comme un problème secondaire et donc en limiter drastiquement la pertinence. Car si la souveraineté réside aussi dans le degré de pertinence des décisions que l’on peut prendre, alors l’abandon de la décision devient impossible à justifier. Les questions soulevées par la critique schmittienne de la démocratie, qui n’est en réalité qu’une forme de la démocratie parlementaire, sont sérieuses. Le risque de dictature de la majorité existe et le positivisme juridique est bien un obstacle radical à penser la démocratie en action, soit la possibilité de la juste rébellion. On ne peut donc se contenter de rejeter les critiques formulées par Carl Schmitt et d’affirmer, sans autre forme de précision, que la règle majoritaire doit toujours et partout s’imposer. On ne peut y répondre de manière cohérente et en évitant de retomber dans le piège du formalisme, qu’en définissant la nature de ce que serait un ordre démocratique.

La démarche de Schmitt qui consiste à critiquer la démocratie parlementaire pour son immoralité peut cependant être réfutée. Elle prête le flanc à une critique en confusion des niveaux d’abstraction. Il glisse volontairement, mais sans avertissement, du niveau de l’idéal-type à celui des formes parlementaires réellement existantes.  Ce glissement est révélateur d’une absence dans le dispositif schmittien, celle de l’analyse des formes historiques d’émergence. Non qu’il n’y ait description; à plusieurs reprises dans l’ouvrage on trouvera des références à des périodes historiques données. Mais cette description est ici soit statique[1], soit dynamisée uniquement par l’hypothèse d’un mouvement, le libéralisme en action, visant à réduire le pouvoir du Prince absolutiste[2]. La nature des conflits et de la transformation de la société qui sous-tendent ces évolutions est parfaitement absente.

L’absolutisation de la liberté, le principe de densité et la nécessité des règles

Une certaine tradition libérale a affecté de prendre au sérieux Robinson Crusoë, oubliant alors que Daniel Defoe n’écrivait ni un reportage ni une théorie des sciences sociales, mais un ouvrage religieux. Il suffit pour s’en convaincre de relire la préface qu’il écrivit à ce grand roman. Il s’agit d’instruire le lecteur par l’exemple et de faire l’apologie de la sagesse de la Providence. Des économistes l’ont oublié qui, comme Böhm-Bawerk dans sa tentative pour établir la notion d’utilité marginale, ont cru voir en Robinson une métaphore sociale. La théorisation de cette vision de l’analyse des sociétés que l’on pourrait infiniment décomposer en une simple somme d’individus est connue. Dans les sciences sociales ce point de vue prend la forme de la posture de l’individualisme méthodologique. Or, les hypothèses nécessaires à l’individualisme méthodologique dans son sens strict ne sont autres que les hypothèses sur la nature des préférences des individus qui sont à la base de la microéconomie néoclassique[3]. Ces hypothèses ont été invalidées par les résultats de psychologie expérimentale portent la forme et à la nature des préférences des individus. Continuer aujourd’hui de se réclamer d’une telle posture ne relève plus désormais d’un choix méthodologique scientifiquement acceptable, mais d’un parti-pris idéologique

Ceci renvoie au principe de densité sociale. Le principe de densité constitue un deuxième principe fondamental. Il a été mis à jour par Emile Durkheim qui analyse l’existence et les conséquences de ce qu’il appelle la densité matérielle et la densité dynamique des sociétés[4]. Ce principe a cependant été redécouvert par les économistes de manière séparée. Il provient de la constatation que dans une société où les d’acteurs sont à la fois séparés et interdépendants, toute action initiée individuellement peut avoir des effets qui ne sont pas voulus sur autrui. On appellera donc dense tout système où toute action d’un membre peut avoir au moins un effet non-intentionnel sur au moins un autre membre. La fonction de densité d’une société traduit donc le degré de probabilité pour qu’un nombre croissant de ses membres puissent être affectés par un effet non voulu d’un autre membre. Comme les projets individuels d’action sont le produit d’une combinaison de connaissances et d’anticipations, ces plans peuvent être remis en cause à la fois par des changements dans la structure des anticipations et par des modifications dans la connaissance Les erreurs se manifestent aux acteurs par des échecs de leurs plans.  Quand bien même saurait-on quelles sont les conséquences de nos actes qui peuvent être imputées à notre responsabilité, l’établissement par un individu donné d’un plan d’action implique la prise en compte des actions d’autrui. Si la société est réellement une société décentralisée composée d’acteurs hétérogènes, il n’y a aucune institution coordonnant ex-ante les divers plans d’action. L’incertitude sur l’action d’autrui peut être tellement radicale qu’elle nous empêche nous-même[5] d’agir à travers l’émergence de dissonances cognitives majeures[6]. C’est ce que l’on appelle le « Paradoxe de Shackle »[7]. Dès lors, l’existence d’une réglementation, dans la mesure où celle-ci est raisonnablement respectée, introduit une prévisibilité des actes d’autrui qui décharge d’autant nos propres capacités cognitives[8]. Les réglementations propres à toute société sont alors essentielles pour deux raisons: elles organisent des transferts de responsabilité à la collectivité (nous savons ce dont nous ne pouvons être tenus pour responsable), et elles construisent des prévisibilités dans le comportement d’autrui.

Ceci milite à la fois pour des réglementations diverses, mais aussi pour leur possibilité d’évoluer dans le temps. En effet, si un individu est réellement seul et non en apparence, autrement dit si son existence ne dépend pas de biens, instruments et outils, confectionnés par d’autres, il est alors condamné à une existence aussi brève que misérable. La nécessité de sa survie la plus immédiate lui enlève toute liberté, et bientôt toute envie, de faire autre chose. Il peut dire et vouloir faire ce que bon lui semble, nul ne peut l’entendre. La notion de propriété n’a pour lui aucun sens. Robinson Crusoë ne doit sa survie qu’aux outils et instruments qu’il récupère sur l’épave du navire. En ceci il n’est point réellement seul puisqu’il est en permanence accompagné de ce que Marx appelle le travail mort réalisé par autrui. Pour autant, et avant que Vendredi ne survienne, il possède tout, et donc rien. Quoi qu’il fasse, ceci ne peut avoir de conséquences que sur lui-même. Comment, à partir d’un tel exemple, prétendre déduire une genèse des règles sociales? Le refus du principe de densité dans la tradition libérale nous dit une chose. Cette tradition libérale ne veut ni ne peut penser le problème de la vie en société. Ce faisant, elle s’interdit absolument la possibilité de tenir un discours réaliste sur l’organisation politique de la société. Le seul discours qui lui reste, dès lors qu’elle est confrontée aux problèmes concrets de l’organisation de la coordination entre les individus, est naturalistes et anti-politique.

La nature sociale de l’être humain

Si le concept de liberté illimitée n’a pas de sens, alors la liberté ne saurait être constituée en idéal normatif à l’aune duquel il nous faudrait juger des conditions de fonctionnement des sociétés réelles. Concevoir ainsi les réglementations comme un “mal nécessaire”, ce à quoi nous incite toute la tradition libérale, est un complet contresens. Liberté et responsabilité sont les deux faces de l’action humaine, en tant que processus se déroulant en société, et donc soumis au principe de densité. Ceci implique qu’il ne peut y avoir de responsabilité que du faire et non de l’être.

Voila qui permet de relire les textes fondamentaux sur les libertés publiques. La formulation de l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme, sur la liberté et l’égalité de chaque et de tous doit alors se comprendre non dans une logique de référence à une liberté fondamentale originelle et fondatrice, mais comme l’affirmation d’une radicale distinction entre l’être et le faire[9]. L’irresponsabilité radicale de l’être, qui proscrit les discriminations et différences (autres que celles fondées sur l’utilité commune) ne résulte pas d’une quelconque nature humaine. C’est la condition nécessaire à notre action en société. Voilà aussi pourquoi la lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, l’origine ethnique, la langue ou tout autre élément de l’être d’un individu, n’est pas une démarche morale qui s’opposerait à une démarche sociale, mais est au contraire l’expression la plus achevée d’une démarche sociale. L’idéalisation d’une liberté absolue, en économie comme en politique, découle d’une absolutisation de l’individu. Cette idée est commune à la fois à une tradition politique et à une tradition économique. Elle implique nécessairement de supposer que chaque individu détient, dans ses comportements sociaux, des capacités particulières indépendantes du contexte. Une telle idée aboutit à nier l’homme comme animal social, et sur le fond ne nous propose rien d’autre que la vieille image de la créature divine. L’absolutisation de la liberté individuelle devient alors le meilleur argument pour nier et restreindre les libertés sociales réelles. Si d’aventure nous possédions bien une essence fondamentale et unique, qui en aurait décrypté les lois et les règles serait habilité à nous gouverner sans limites. L’absolutisation de la liberté individuelle est un obstacle pour penser la démocratie hors de l’idéalisme ou du formalisme légal.

On lui oppose ici une autre logique. L’homme n’est pas né humain ; il s’est humanisé. La proximité toujours plus grande qui révèle la recherche contemporaine entre les êtres humains et les grands primates nous le montre. Cette humanisation de l’homme a un cadre : la vie en société. Nous retrouvons ici François Guizot et le rôle décisif des luttes collectives pour la mise en place des institutions, c’est à dire le progrès de la civilisation.

Cela implique que la coopération est première. L’homme ne s’est pas construit tout seul, sur une île déserte avant d’aller vers ses semblables. Il s’est construit dans une relation toujours plus riche, toujours plus dense, et bien souvent conflictuelle, avec semblables. Les formes que cette coopération peut prendre sont multiples; elles incluent les figures de l’asservissement. Mais, pour qui pense que nul être ne peut maîtriser le futur, que les capacités cognitives et informationnelles sont limitées – l’hypothèse de base de l’économie réaliste – alors l’asservissement sous toutes ses formes est un mode inefficient de coopération. Personne ne peut ex-ante dire laquelle/lequel des membres d’une communauté aura l’idée la meilleure, sera porteur de l’innovation le plus fructueuse. La liberté de chacun est la seule garantie du progrès de tous. Mais, cette liberté ne doit pas compromettre la coopération. Toute tentative d’un individu de privatiser à son seul profit ce que lui apporte la collectivité menace de faire retour sur l’ensemble des fonctionnements de la coopération. La liberté nécessaire peut aussi être porteuse du danger de l’anomie. Elle ne peut exister efficacement que dans des règles.

Penser l’ordre démocratique

Abandonner l’idée d’un usage normatif de la liberté individuelle, resituer la notion de liberté de l’individu dans son contexte social, telles sont les démarches qui permettent d’appréhender l’ordre démocratique. Ce dernier se veut une solution aux problèmes soulevés par Schmitt et évoqués ci-dessus. L’ordre démocratique a, alors, deux fondements. Il est d’abord une chaîne logique qui découle de la notion de souveraineté du peuple et des contraintes qui en découlent quant aux possibilités de dévolution. La souveraineté du peuple est première car, pour tout ordre politique que l’on conçoit dans un espace réaliste, la souveraineté est première. Rappelons que c’est elle qui organise la légitimité, quand cette dernière rend possible la légalité. Donc, dans l’ordre démocratique la souveraineté du peuple est nécessairement première. On le constate à travers le couple contrôle/responsabilité fondateur de la liberté comme on l’a montré plus haut.  Par ailleurs, l’ordre démocratique est une réponse au fait que la coordination de décisions décentralisées, dans une société répondant au principe d’hétérogénéité, implique que des agents ayant des positions inégales se voient mis dans une position formelle d’égalité. Le couple contrôle/responsabilité résulte ainsi du principe de densité; il en est une manifestation.

Encore faut-il définir le peuple. La négation des frontières est une démarche tentante. S’y retrouvent aussi bien les défenseurs les plus acharnés de la globalisation marchande que leurs contempteurs internationalistes les plus farouches[10]. L’idée de frontières est à priori odieuse car ces dernières impliqueraient la séparation d’être que leur nature devrait unir. Dire cela n’est pourtant pas autre chose que prétendre que la nature de l’homme existe en dehors de toute relation à une organisation sociale. Accepter et revendiquer au contraire que la dimension sociale soit première permet de comprendre que nier les frontières revient à nier ce qui rend possible la démocratie, soit l’existence d’un espace politique où l’on puisse vérifier et le contrôle et la responsabilité. Cette dernière, en effet, ne peut se contenter, comme chez Jurgen Habermas d’être simplement délibérative[11]. Quoi que l’on fasse, on ne peut évacuer la question de la définition relativement précise des participants à la délibération et de la pertinence de leurs décisions. La question de l’appartenance, qui est dedans et qui est dehors, est inévitable. L’appartenance doit alors être territoriale, et non liée à une caractéristique de l’être des individus. Les frontières construisent en réalité les espaces politiques sans lesquels la démocratie ne saurait fonctionner.

L’ordre démocratique oppose alors la notion de construction de l’égalité à celle de l’égalité originelle. Il refuse la confusion entre un idéal et une démarche analytique. Il n’est donc pas simplement le produit de la chaîne logique évoquée ci-dessus, mais aussi le produit d’une posture méthodologique en faveur du réalisme. Ce dernier, on le rappelle, est conçu nas pas comme un factualisme mais comme une position méthodologique de rapport à la réalité. Il va sans dire que ce réalisme méthodologique est à l’opposé du positivisme. L’intérêt public, la fameuse Res Publica mise en forme par Bodin[12] n’est pas la condition permissive de la démocratie. Au contraire, c’est l’ordre démocratique qui est la procédure permettant la constitution d’une représentation de l’intérêt public. Il n’y a donc pas, comme le croyaient les pères fondateurs des régimes démocratiques au XVIIIème siècle un intérêt public “évident” et donc naturellement partagé par tous. Mais, parce que nous sommes dans des sociétés dominées à la fois par la décentralisation, l’hétérogénéité et par l’interdépendance, nous avons besoin d’un intérêt public comme norme de référence pour combattre les tendances spontanées à l’anomie et à la défection. L’ordre démocratique est donc aux antipodes de la vision idéaliste de la démocratie qui croit voir dans cet intérêt public le produit d’un ordre naturel; il ne peut, en réalité, qu’être une construction sociale.

L’ordre démocratique est donc aussi une nécessité fonctionnelle pour des sociétés soumises à de telles contraintes. De la souveraineté du peuple découlent alors une règle de dévolution, et trois principes qui fondent le droit spécifique de l’ordre démocratique. On peut formuler ces derniers de la manière suivante:

  • Nul ne peut prétendre au contrôle sans endosser une responsabilité des actes issus de son contrôle. La garantie que tous accordent au contrôle de un s’accompagne de la responsabilité de un devant tous. La souveraineté nationale est alors le garant ultime de l’exercice de nos droits, comme l’exprimait la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de la Constitution de 1793.

  • Nul ne peut fixer seul un mode de coordination, ou exclure de ce mode certaines formes ou certains participants de la communauté. C’est là la conclusion logique qu’il faut tirer de l’hypothèse de connaissance imparfaite. Les discriminations fondées sur l’être de l’individu ou sur son origine sont par nature nulles et non avenues. Aucun système politique, qu’il soit local ou national, ne peut être fondé sur des différences ethniques, culturelles, religieuses, sexuelles ou autres.

  • Nous avons tous, au sein d’une même communauté qui ne peut être que territoriale, le même droit à participer à la constitution, intentionnelle ou non, des modes de coordination.

Les formes politiques qui, dans une société à la fois décentralisée et interdépendante, ne respecteraient pas ces trois principes seraient illégitimes car incohérentes avec l’état de la société. Les lois tirent alors leur légitimité des formes politiques dans lesquelles elles sont élaborées, tout autant que de leur respect des trois principes que l’on vient d’énoncer. La règle de dévolution que l’on a évoquée découle alors de ces principes: Nulle société régie par l’ordre démocratique ne peut et ne doit, sauf à renier l’ordre démocratique lui-même, reconnaître une dévolution ses pouvoirs à un cadre supérieurs qui serait moins démocratique qu’elle ne l’est elle-même. Par ailleurs, toute dévolution entraînant une rupture par rapport à l’un des trois principes évoqués constituerait une usurpation qui fonderait une Tyrannie.

L’ordre démocratique, comme conception matérialiste et réaliste, envisage alors la démocratie ni comme la somme de libertés individuelles préexistantes à la mise en société ni comme un simple cadre permettant l’expression d’une opinion politique, religieuse ou commerciale. L’ordre démocratique envisage les systèmes démocratiques concrets en action comme des ensembles de procédures permettant:

  • (a) Le dégagement de convergences dans les représentations et d’une convergence entre ces représentations et la réalité, à travers des systèmes emboîtés d’espaces de controverse.

  • (b) La légitimation des systèmes de règles et de sanctions qui permettent à ces espaces de fonctionner, en référence au droit conforme à l’ordre démocratique.

La loi démocratique n’a donc pas à être complète ni parfaite; elle est constamment améliorable dans un système qui laisse la place à la création. L’autorité de la loi n’est donc pas une construction formelle, mais la traduction d’un principe de souveraineté. La loi est légitime non pas seulement ou uniquement parce qu’elle est l’expression d’une majorité, mais parce qu’elle a respecté tout à la fois des procédures et des principes. La présomption légale de la majorité ne confère ainsi nullement la légitimité à ses décisions. Elle ne détruit donc pas la libre concurrence des intérêts et des opinions, contrairement à ce qu’affirmait C. Schmitt à propos des démocraties parlementaires. Les conditions de fonctionnement ne sont donc nullement contraires aux principes. À l’encontre de ce qu’il pensait l’ordre démocratique n’est pas un système immoral. On peut en effet parfaitement penser le problème de la tyrannie, et la rébellion légitime, dans le cadre d’une telle démocratie.

Les principes de l’ordre démocratique

Il devient dès lors possible de représenter des régimes différents de légitimation de l’autorité. Ces régimes, qui font appel aux principes de la politique ou du domaine technique, définissent alors diverses combinaisons possibles de pouvoir. Le premier régime identifiable est celui du principe de la légitimité substantielle, ou technique. Il implique une norme unique d’évaluation de la décision. Il peut s’agir d’un discours religieux ou politique, comme d’un résultat qualifié d’indiscutable. Ce régime peut se concrétiser en deux formes opposées, la légitimité charismatique ou la légitimité bureaucratique, le devin ou l’expert. Toute remise en cause du principe de la norme unique affaiblit la pertinence de ce principe; qu’il y ait divergence quant à l’interprétation du discours ou qu’un résultat devienne trop complexe pour pouvoir être évalué par une norme simple (ce qui revient à un problème de conjectures emboîtées), et une décision ne pourra plus se fonder en légitimité substantielle.

Ceci permet d’exprimer ce que l’on appellera, avec une certaine pompe, le Premier théorème de la légitimité :

Théorème I

Dans un système donné de décision, la légitimité d’une décision sera substantielle si et seulement s’il y a accord parmi les membres de la communauté pour considérer que la totalité des conséquences de la décision soit raisonnablement envisageable dans le cadre de critères homogènes et acceptés par tous.

Ce théorème n’exclut donc nullement le principe d’une légitimité substantielle au sein de systèmes démocratiques. Il en précise les conditions. Il est en effet parfaitement possible d’envisager une norme commune. Ceci implique par exemple que les participants considèrent que l’on est confronté à des lois naturelles, ou qu’il y ait adhésion à une méta-norme produisant un accord stable sur les critères d’évaluation des conséquences.

Le second régime est celui du principe de légitimité procédurale. Il s’applique à chaque fois que les conditions du théorème I ne sont pas remplies. Il est nettement différent et va impliquer un accord collectif, même implicite, quant aux procédures. Sera donc légitime l’effet d’une décision qui aura suivi les procédures, à la condition que ces dernières soient, elles-mêmes, légitimes. Le pouvoir, pour conserver sa légitimité, doit se plier au respect des procédures, et peut être à tout instant interpellé et contesté s’il décide de s’en affranchir. Ceci peut prendre alors deux formes, la légitimité démocratique, telle qu’elle se construit dans les procédures électorales libres, et la légitimité patrimoniale. Dans ce dernier cas le pouvoir acquiert une autorité légitime par sa capacité à faire profiter une partie de la société d’une redistribution des ressources. Si une partie de la population s’estime exclue de l’espace démocratique, ou si la décision majoritaire est trop contrainte par des éléments extérieurs, et si la capacité à accorder des avantages par le décideur est limitée, alors la légitimité procédurale elle aussi peut cesser d’être pertinente. Ceci conduit au non moins pompeux deuxième théorème de la légitimité :

Théorème II

Dans un système de décision donné, la légitimité procédurale sera dotée d’une stabilité inversement proportionnelle au degré d’exclusion dans la communauté concernée, et directement proportionnelle à la pertinence des décisions prises sur la situation des membres de la communauté.

La décision du parrain mafieux ou celle du dirigeant paternaliste peuvent être légitime si elle affecte plus la situation des individus que les décisions prises par des autorités politiques démocratiques. C’est par exemple la situation que l’on trouve quand la puissance publique se retire de certains espaces, ou quand elle s’étiole faute de moyens. De même, l’existence d’un processus d’exclusion de droit ou de fait (impossibilité matérielle étant faite aux individus de participer au système), qu’il soit interne ou externe (un système extérieur évinçant le système de la communauté), fragilise d’autant les décisions qui doivent être prises.

Lire les notes précédentes :  (I) Comment sommes-nous dépossédés de la démocratie et à (II) Légalité, légitimité et les apories de Carl Schmitt.

Lire la note suivante :  (IV) Ordre démocratique, entre dictature, tyrannie et rébellion légitime.

Citation

Jacques Sapir, “(III) Légalité, légitimité et l’ordre démocratique”, billet publié sur le carnet Russeurope le 27/01/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/767

[1] C. Schmitt, Légalité, Légitimité, traduit de l’allemand par W. Gueydan de Roussel, Librairie générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1936; édition allemande, 1932p. 47.

[2] Idem, pp. 59-60.

[3] J. Sapir, “Théorie de la régulation, conventions, institutions et approches hétérodoxes de l’interdépendance des niveaux de décision”, in FORUM A. Vinokur (ed.), Décisions économiques , Économica, Paris, 1998, pp. 169-215. Idem, Quelle économie pour le XXIe siècle?, Odile Jacob, Paris, 2005, chap. 1.

[4] E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, PUF, coll. Quadriges, Paris, 1999 (première édition, Paris, 1937), pp. 112-115.

[5] G.L.S. Shackle, “The Romantic Mountain and the Classic Lake: Alan Coddington’s Keynesian Economics”, in Journal of Post-Keynesian Economics, vol. 6, n°1, 1983, pp. 241-257.

[6] N.P. Chapanis et J.A. Chapanis, “Cognitive Dissonance: Five Years Later” in Psychological Bulletin, vol. 61, 1964. G.A. Akerlof et W.T. Dickens, “The Economic Consequences of Cognitive Dissonance”, in American Economic Review, vol. 72, n°1, 1972, pp. 307-319.

[7] G.L.S. Shackle, Decision, Order and Time in Human Affairs, Cambridge University Press, Cambridge, 2ème edition, 1969..

[8] G.L.S. Shackle, Expectations in Economics, Cambridge University Press, Cambridge, 1949. Voir aussi, J.L. Ford, Choice, Expectations and Uncertainty, Martin Robertson, Oxford, 1983.

[9]Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune“, cité d’après M. Duverger, Constitutions et documents politiques,  PUF, coll. Thèmis, Paris, 1971, p. 9.

[10] J’ai abordé en partie ce point dans : Jacques Sapir, “Un “marché” des nationalités ou de quoi Arnault, Bardot et Depardieu sont-ils le nom”, billet publié sur le carnet Russeurope le 10/01/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/713.

[11] Pour un exposé prècis des conceptions d’Habermas, S. Benhabib, “Deliberative Rationality and Models of Democratic Legitimacy”, in Constellations, vol.I, n°1/avril 1994.

[12] J. Bodin, Les Six Livres de la République, Réimpression, Scientia Aulem, Amsterdam, 1961..

(III) Legalità, legittimità e l’ordine democratico

Vedi anche (I) Comment sommes-nous dépossédés de la démocratie e (II) Légalité, légitimité et les apories de Carl Schmitt.

Schmitt denuncia un’immoralità proprietaria nella democrazia parlamentare che si rivelerebbe in modo eclatante in quella che lui considera come la necessaria confusione fra diritto e legge in quello che lui chiama “sistema democratico”. Da questa confusione, quando si aggiunga il principio maggioritario, deriva quindi l’impossibilità di stabilire il principio di resistenza e ribellione. La legge è legittima perché è votata in un quadro fissato, esso stesso, dalla legge, e le maggioranze decidono le leggi. Dunque tutto ciò che decide una maggioranza è sempre giusto e legittimo e niente può e deve opporsi alla maggioranza. La ribellione è dunque sempre un crimine, tenuto conto dell’impossibilità di pensare la tirannia dentro un simile sistema (salvo per un potere che infrangesse la legge). Espresso in questo modo, abbiamo sotto la forma dello stato di diritto la peggiore delle tirannie.

Il pensiero economico dominante incastra Schmitt. Esso crede di trovare nella sua pretesa ad incarnare una scienza, la giustificazione delle sue pratiche. Per esso, il solo governo adatto a proteggerci dalla tirannia, di cui le maggioranze sarebbero ineluttabilmente portatrici in un sistema senza morale, sarebbe un governo tecnocratico che incarni la “razionalità” che deriva dalla massimizzazione. Il tecnocrate si sostituisce al giudice e lo Stato amministrativo allo Stato giurisdizionale. Eccoci presi fra due fuochi. O diamo il nostro consenso ad un sistema intrinsecamente immorale e portatore della tirannia delle maggioranze, oppure rimettiamo la nostra sovranità nelle mani dell’esperto (nello Stato amministrativo) o al giudice.

E’ allora logico proclamare che la democrazia non è che la libertà d’opinione e di discussione, nell’organizzazione di un immenso spazio di comunicazione che si moltiplica nel progresso della tecnica ( Facebook, Twitter). Ma questo è possibile solo al prezzo dell’abbandono del principio della decisione. Nel sopprimere la decisione della definizione della democrazia, si può in effetti credere che un tale sistema politico, dove il potere del popolo sarebbe limitato alla sola approvazione delle dotte decisioni, resti democratico. Ma a questo scopo occorre poter considerare la sovranità come un problema secondario e dunque limitarne drasticamente la rilevanza. Perché se la sovranità risiede anche nel grado di rilevanza delle decisioni che si prendono, allora l’abbandono della decisione diventa impossibile da giustificare.

Le questioni sollevate dalle critiche schmittiane alla democrazia, che non è in realtà che una forma della democrazia parlamentare, sono serie. Il rischio della dittatura della maggioranza esiste e il positivismo giuridico è un ostacolo radicale a pensare la democrazia in azione come anche la possibilità della giusta ribellione. Non si può dunque accontentarsi di rigettare le critiche formulate da Carl Schmitt e affermare, senza precisare oltre, che la regola maggioritaria debba imporsi sempre e ovunque. Non si può rispondergli in modo coerente ed evitando di ricadere nelle insidie del formalismo, se non definendo la natura di quello che sarebbe un ordine democratico.

La sollecitazione di Schmitt che consiste nel criticare la democrazia parlamentare per la sua immoralità può dunque essere confutata. Essa presta il fianco ad una critica in confusione dei livelli d’astrazione. Egli glissa volontariamente, ma senza avvertire, dal livello del’ideal-tipo a quello delle forme parlamentari realmente esistenti. Questo scivolamento è rivelatore d’una assenza nel dispositivo schmittiano, quello dell’analisi delle forme storiche dell’emergere.

Non che non ci siano descrizioni; a più riprese si troveranno nell’opera dei riferimenti a periodi storici dati. Ma queste descrizioni sono qui sia statiche, sia dinamizzate unicamente dall’ipotesi di un movimento, il liberalismo in azione, che punta a ridurre il potere di un Principe assolutista. La natura dei conflitti e della trasformazione della società che sottendono tali evoluzioni, è perfettamente assente.

L’assolutizzazione della libertà, il principio di densità e la necessità di regole

Una certa tradizione liberale si è dedicata a prendere sul serio Robinson Crusoe, dimenticando che Daniel Defoe non stava scrivendo né un reportage né una teoria sociale, ma un’opera religiosa. E’ sufficiente per convincersene, rileggere la prefazione che scrisse a questo grande romanzo. Si trattava di educare il lettore attraverso l’esempio e di fare l’apologia della saggezza della Provvidenza. Degli economisti, come Bohm Bawerk nel suo tentativo di stabilire la nozione di utilità marginale, l’hanno dimenticato credendo di vedere in Robinson una metafora sociale. La teorizzazione di tale visione delle società, che si potrebbero scomporre infinitamente in una semplice somma di individui, è nota. Nelle scienze sociali questo punto di vista prende la forma della posizione dell’individualismo metodologico. Ora le ipotesi necessarie all’individualismo metodologico nel suo senso stretto, non sono altro che le ipotesi sulla natura delle preferenze degli individui che sono alla base della microeconomia neoclassica. Queste ipotesi sono state invalidate dai risultati della psicologia sperimentale che portano alla forma e alla natura delle preferenze degli individui. Continuare oggi a richiamarsi ad una tale posizione non si tratta più di una scelta metodologica scientificamente accettabile, ma di partito preso ideologico.

Questo rinvia al principio della densità sociale. Il principio di densità costituisce un secondo principio fondamentale. Esso è stato aggiornato da Emile Durkheim che analizza l’esistenza e le conseguenze di ciò che lui chiama la densità materiale e la densità dinamica delle società. Questo principio è stato poi riscoperto dagli economisti in modo distinto. Proviene dalla costatazione che in una società in cui degli attori sono sia separati che interdipendenti, ogni azione iniziata individualmente piò avere degli effetti che non sono voluti sugli altri. Si chiamerà pertanto denso ogni sistema in cui ogni azione di un membro può avere almeno un effetto non intenzionale su almeno un altro membro. La funzione di densità di una società traduce quindi il grado di probabilità che un numero crescente dei suoi membri possa essere influenzato da un effetto non voluto di un altro membro. Poichè i progetti individuali d’azione sono il prodotto di una combinazione fra conoscenze e previsioni, questi piani possono essere rimessi in questione sia da cambiamenti nella struttura delle previsioni, che da modifiche nella conoscenza. Gli errori si rivelano agli attori come scacchi nei loro piani. Quand’anche sapessimo quali sono le conseguenze dei nostri atti che possono essere imputate alla nostra responsabilità, la definizione da parte di un individuo dato di un piano d’azione, implica di prendere in considerazione le azioni altrui. Se la società è veramente una società decentrata composta da attori eterogenei, non c’è alcuna istituzione che coordini ex-ante i diversi piani d’azione. L’incertezza sui piani altrui può essere talmente radicale da impedirci di agire mediante l’emergere di dissonanze conoscitive estreme. E’ quello che si chiama il “Paradosso di Shackle”. Per cui l’esistenza di una regolamentazione, nella misura in cui essa sia ragionevolmente rispettata, introduce una prevedibilità delle azioni altrui che discolpa di altrettanto le nostre capacità cognitive. Le regolamentazioni proprie di ogni società sono allora essenziali per due ragioni: organizzano dei trasferimenti di responsabilità alla collettività (sappiamo ciò di cui non potremo essere considerati responsabili), e costruiscono delle prevedibilità nei comportamenti altrui. Ciò milita a favore di regolamentazioni diverse, ma anche della loro possibilità di evolversi nel tempo. In effetti se un individuo fosse realmente solo e non in apparenza, altrimenti detto se la sua esistenza non dipendesse da beni, strumenti e utensili costruiti da altri, sarebbe allora condannato ad un’esistenza tanto breve quanto miserabile. La necessità immediata di sopravvivere gli leverebbe ogni libertà, e ben presto ogni desiderio, di fare altre cose. Potrebbe dire e voler fare ciò che gli sembrerebbe bene per lui, nessuno lo potrebbe sentire. La nozione di proprietà non avrebbe per lui nessun senso. Robinson Crusoe deve la sua sopravvivenza agli utensili ed agli strumenti che recupera sul relitto della nave. In ciò egli non è affatto solo perché è permanentemente accompagnato da quello che Marx chiama il lavoro morto realizzato da altri. Pertanto, e prima che compaia Venerdi, egli possiede tutto e dunque niente. Qualunque cosa faccia, non può che avere conseguenze solo su lui stesso. Come pretendere, a partire da un tale esempio, di dedurre una genesi delle regole sociali? Il rifiuto del principio di densità nella tradizione liberale ci dice una cosa. Questa tradizione liberale non vuole né può pensare il problema della vita in società. Così facendo essa si nega del tutto la possibilità di tenere un discorso realista sull’organizzazione politica della società. Gli unici discorsi che gli restano, nel momento in cui affronta i problemi concreti dell’organizzazione del coordinamento degli individui, sono naturalisti ed anti politici.

La natura sociale dell’essere umano

Se il concetto di libertà assoluta non ha senso, allora la libertà non dovrebbe costituirsi in ideale normativo sulla base del quale bisognerebbe giudicare le condizioni di funzionamento delle società reali. Concepire così le regolamentazioni come un “male necessario”, come ci incita a fare tutta la tradizione liberale, è un controsenso completo. Libertà e responsabilità sono le due facce dell’azione umana, come processo che si svolge in società, e dunque sottomesso al principio di densità. Ciò implica che può esserci solo responsabilità di fare e non di essere. Ecco cosa ci permette di rileggere i testi fondamentali sulle libertà pubbliche. La formulazione del primo articolo della Dichiarazione dei Diritti dell’Uomo, sulla libertà e uguaglianza di ciascuno e di tutti, deve allora comprendersi non in una logica di riferimento a una libertà fondamentale originale e fondatrice, ma come l’affermazione di una radicale distinzione tra l’essere ed il fare. L’irresponsabilità radicale dell’essere, che bandisce le discriminazioni e le differenze (tranne quelle fondate sull’utilità comune) non risulta da una qualche natura umana. E’ la condizione necessaria alla nostra azione in società. Ecco perché la lotta contro le discriminazioni fondate sul sesso, l’origine etnica, la lingua e ogni altro elemento dell’essere non è una sollecitazione morale che si opporrebbe ad una sollecitazione sociale, ma è al contrario l’espressione più perfetta di una sollecitazione sociale. L’idealizzazione di una libertà assoluta, in economia come in politica, deriva da un’assolutizzazione dell’individuo. Questa idea è comune sia ad una tradizione politica che ad una tradizione economica. Essa implica necessariamente di supporre che ogni individuo possiede, nei suoi comportamenti sociali, delle capacità particolare indipendenti dal contesto. Una tale idea sfocia nel negare l’uomo come animale sociale e sullo sfondo non ci propone nient’altro che la vecchia immagine della creatura divina. L’assolutizzazione della libertà individuale diventa allora il migliore argomento per negare e restringere le libertà sociali reali. Se per caso noi possedessimo un’essenza fondamentale e unica, colui che ne avesse decrittato le leggi e le regole sarebbe abilitato a governarci senza limiti. L’assolutizzazione della libertà individuale è un ostacolo per pensare la democrazia fuori dall’idealismo o dal formalismo legale.

Qui le si oppone un’altra logica. L’uomo non è nato umano; viene umanizzato. La vicinanza sempre più grande, che ci svela la ricerca contemporanea, fra gli umani e i grandi primati, ce lo mostra. Questa umanizzazione dell’uomo ha una cornice: la vita in società. Ritroviamo qui Francois Guizot ed il ruolo decisivo delle lotte collettive per la messa in campo delle istituzioni, cioè del progresso della civilizzazione. Ciò implica che la cooperazione è primaria. L’uomo non è costruito tutto solo, su un’isola deserta, prima di andare verso i suoi simili. E’ costruito dentro una relazione sempre più ricca, sempre più densa, e sovente conflittuale, con i suoi simili. Le forme che questa cooperazione può prendere sono molteplici; esse includono le figure dell’asservimento. Ma per chi pensa che nessun essere può dominare il futuro, che le capacità cognitive e di informazione sono limitate -l’ipotesi di base dell’economia realista – allora l’asservimento in tutte le sue forme è un modo inefficiente di cooperare. Nessuno può dire ex-ante chi dei membri di una comunità avrà l’idea migliore, sarà portatore dell’innovazione più fruttuosa. La libertà di ciascuno è la sola garanzia per il progresso di tutti. Ma questa libertà non deve compromettere la cooperazione. Qualunque tentativo di un individuo di privatizzare a suo solo profitto ciò che gli apporta la collettività minaccia di retroagire sull’insieme dei funzionamenti della cooperazione. La libertà necessaria può anche essere portatrice dei pericoli dell’anomia. Essa può esistere efficacemente solo dentro regole.

Pensare l’ordine democratico

Abbandonare l’idea di un uso normativo della libertà individuale, restituire la nozione di libertà dell’individuo al suo contesto sociale, queste sono le sollecitazioni che permettono di acciuffare l’ordine democratico. Quest’ultimo vuole essere una soluzione ai problemi sollevati da Schmitt ed evocati più sopra. L’ordine democratico ha, quindi, due fondamenti. Prima di tutto è una sequenza logica che deriva dalla nozione di sovranità del popolo e dai vincoli che ne derivano quanto alle possibilità di devoluzione. La sovranità del popolo è primaria perché, in ogni ordine politico che si concepisca in uno spazio realista, la sovranità è primaria. Ricordiamo che è essa che organizza la legittimità, mentre quest’ultima rende possibile la legalità. Dunque nell’ordine democratico la sovranità del popolo è necessariamente primaria. Lo si constata mediante la coppia controllo/responsabilità fondatrice della libertà come si è visto più sopra. Quindi l’ordine democratico è una risposta al fatto che il coordinamento di decisioni decentrate, in una società che risponde al principio di eterogeneità, implica che degli agenti aventi posizioni diseguali si vedano inseriti in una posizione formale di uguaglianza. La coppia controllo/responsabilità deriva allora dal principio di densità; ne è una manifestazione.

Occorre ancora definire il popolo. La negazione delle frontiere è una sollecitazione tentatrice. Ci si ritrovano sia i difensori più accaniti della globalizzazione mercantile che i loro spregiatori internazionalisti più accaniti. L’idea di frontiera è a priori odiosa in quanto implica la separazione di esseri che la loro natura dovrebbe unire. Dire questo non è pertanto altro che pretendere che la natura dell’uomo esista al di fuori di qualunque relazione con una organizzazione sociale. Accettare e rivendicare invece che la dimensione sociale sia primaria, permette di comprendere che negare le frontiere significa negare ciò che rende possibile la democrazia, cioè l’esistenza di uno spazio politico dove si possa verificare sia il controllo che la responsabilità. Quest’ultima infatti non può accontentarsi, come in Jurgen Habermas, di essere semplicemente deliberativa. Per quanto si faccia, non si può evitare la questione della definizione relativamente precisa dei partecipanti alla deliberazione e della rilevanza delle loro decisioni. La questione dell’appartenenza, chi è dentro e chi è fuori, è inevitabile. L’appartenenza deve quindi essere territoriale e non legata ad una caratteristica dell’essere degli individui. Le frontiere costruiscono in realtà gli spazi politici senza i quali la democrazia non saprebbe funzionare.

L’ordine democratico allora oppone la nozione di costruzione dell’uguaglianza a quella di uguaglianza originaria. Rifiuta la confusione tra un ideale e una sollecitazione analitica. Non è quindi solo il prodotto della sequenza logica illustrata qui sopra, ma anche il prodotto di una posizione metodologica a favore del realismo. L’interesse pubblico, la famosa Res Publica configurata da Bodin, non è la condizione permissiva della democrazia. Al contrario è l’ordine democratico che è la procedura che permette la costituzione di una rappresentazione dell’interesse pubblico. Non c’è dunque, come pensavano i padri fondatori dei regimi democratici del XVIII.o secolo. un interesse pubblico “evidente” e dunque naturalmente condiviso da tutti. Invece, poiché siamo dentro società dominate sia da decentramento che da eterogeneità ed interdipendenza, abbiamo bisogno di un interesse pubblico come norma di riferimento per combattere le tendenze spontanee all’anomia ed alla defezione. L’ordine democratico è dunque agli antipodi della visione idealista della democrazia che crede di vedere in questo interesse pubblico il prodotto di un ordine naturale; in realtà non può che essere una costruzione sociale. L’ordine democratico è dunque anche una necessità funzionale per delle società sottomesse a tali vincoli. Dalla sovranità del popolo deriva allora una regola di devoluzione e tre principi che fondano il diritto specifico dell’ordine democratico. Si possono formulare questi ultimi nel modo seguente:

  • Nessuno può pretendere il controllo senza assumersi la responsabilità degi atti derivanti dal suo controllo. La garanzia che tutti accordano al controllo di uno, s’accompagna alla responsabilità di uno davanti a tutti. La sovranità nazionale è allora la garanzia ultima dell’esercizio dei nostri diritti, come era espresso nella dichiarazione dei diritti dell’uomo e dei cittadini della Costituzione del 1793.

  • Nessuno può fissare un’unica modalità di coordinamento o escludere da questa modalità certe forme o certi membri della comunità. E’ la conclusione logica che occorre trarre dall’ipotesi della conoscenza imperfetta. Le discriminazioni fondate sull’essere dell’individuo o sulla sua origine sono per natura nulle ed ineffettuali. Nessun sistema politico, sia esso locale o nazionale, può essere fondato su delle differenze etniche, culturali, religiose, sessuali o altre.

  • Abbiamo tutti, all’interno di una comunità che non può che essere territoriale, lo stesso diritto a partecipare alla costituzione, intenzionale o meno, delle modalità di coordinamento.

Le forme politiche che, in una società sia decentrata che interdipendente, non rispettassero questi tre principi, sarebbero illegittime perché incoerenti con lo stato della società. Le leggi traggono allora la loro legittimità dalle forme politiche nelle quali esse sono elaborate, tanto quanto dal loro rispetto dei tre principi che abbiamo enunciato. La regola di devoluzione che abbiamo prima menzionato deriva allora da questi principi: nessuna società retta da un ordine democratico può riconoscere una devoluzione dei suoi poteri ad un livello superiore che fosse meno democratico di quanto essa stessa sia. Quindi ogni devoluzione che comportasse una rottura in relazione ad uno dei tre principi menzionati, costituirebbe un’usurpazione che fonderebbe una Tirannia. L’ordine democratico come concezione materialista e realista, non concepisce allora la democrazia come la sommatoria di libertà individuali preesistenti alla messa in società né come una semplice cornice che permetta l’espressione di opinioni politiche, religiose o commerciali. L’ordine democratico concepisce i sistemi democratici concreti in azione, come degli insiemi di procedure che permettano:

  • (a) il rilascio di convergenze dentro le rappresentazioni e di una convergenza tra queste rappresentazioni e la realtà, mediante sistemi chiusi di spazi di controversie;

  • (b) la legittimazione dei sistemi di regole e di sanzioni che permettano a tali spazi di funzionare, in relazione al diritto conforme all’ordine democratico.

La legge democratica non deve dunque essere completa né perfetta, essa è costantemente migliorabile dentro un sistema che lascia spazio alla creazione. L’autorità della legge non è dunque una costruzione formale, ma la traduzione di un principio di sovranità. La legge è legittima non solamente o unicamente perché essa è l’espressione di una maggioranza, ma perché essa ha rispettato ogni volta delle procedure e dei principi. Quindi la presunzione legale della maggioranza non conferisce per nulla legittimità alle sue decisioni. Essa non distrugge quindi la libera concorrenza degli interessi e delle opinioni, contrariamente a quanto affermava C. Schmitt a proposito delle democrazie parlamentari. Le condizioni di funzionamento non sono dunque per nulla contrarie ai principi. Al contrario di quanto egli pensava, l’ordine democratico non è dunque un sistema immorale. Si può in effetti pensare perfettamente il problema della tirannia, e della ribellione legittima, nel quadro di una tale democrazia.

I principi dell’ordine democratico

Diventa allora possible rappresentare regimi diversi di lettimità dell’autorità. Questi regimi, che fanno appello ai principi della politica o della sfera tecnica, definiscono allora diverse combinazioni possibile del potere. Il primo regime identificabile è quello del principio di legittimità sostanziale, o tecnico. Esso implica una norma unica di valutazione della decisione. Può trattarsi di un discorso religioso o politico, come di un risultato qualificato come indiscutibile. Questo regime può concretizzarsi in due forme opposte, la legittimità carismatica o la legittimità burocratica, il divino o l’esperto. Qualsiasi rimessa in discussione del principio della norma unica indebolisce la rilevanza di questo principio; sia che si tratti di divergenza quanto all’interpretazione del discorso, sia che un risultato diventi troppo complesso per poter essere valutato da una norma singola (ciò che rimanda ad un problema di congetture chiuse), e una decisione non potrà più fondarsi sulla legittimità sostanziale. Questo permette di esprimere quello che chiameremo, con una certa pompa, il primo teorema della legittimità:

Teorema I

In un sistema dato di decisione, la legittimità di una decisione sarà sostanziale se e solamente se c’è accordo fra i membri della comunità nel considerare che la totalità delle conseguenze della decisione sia ragionevolmente prevedibile nel quadro di criteri omogenei ed accettati da tutti

Questo sistema non esclude per nulla il principio di legittimità sostanziale all’interno dei sistemi democratici. Ne precisa le condizioni. E’ perfettamente possibile prevedere una norma comune. Questo implica ad esempio che i membri considerino che ci si confronta con leggi naturali, o che ci sia adesione ad una meta-norma che produce un accordo stabile sui criteri di valutazione delle conseguenze.

Il secondo regime è quello del principio della legittimità procedurale. Si applica tutte le volte che le condizioni del Teorema I non sono soddisfatte. E’ nettamente diverso e deve comportare un accordo collettivo, anche implicito, sulle procedure. Sarà dunque legittimo l’effetto di una decisione che avrà seguito le procedure, a condizione che queste ultime siano esse stesse legittime. Il potere, per conservare legittimità, deve piegarsi al rispetto delle procedure, e puo’ essere in ogni momento interpellato e contestato se decide di liberarsene. Esso può prendere allora due forme, la legittimità democratica, che si costruisce nelle procedure elettorali libere, e la legittimità patrimoniale. In quest’ultimo caso il potere acquisisce un’autorità legittima per la sua capacità di far guadagnare ad una parte della società nella redistribuzione delle risorse. Se una parte della popolazione si considera esclusa dallo spazio democratico oppure se la decisione maggioritaria è troppo coercitiva per degli elementi esteriori, e se la capacità di accordare dei vantaggi da parte dei decisori è limitata, allora la legittimità procedurale può anch’essa cessare di essere rilevante. Questo ci conduce al non meno pomposo secondo teorema:

Teorema II

In un sistema dato di decisione, la legittimità procedurale sarà dotata di una stabilità inversamente proporzionale al grado di esclusione nella comunità che la riguarda, e direttamente proporzionale alla rilevanza delle decisioni prese sulla situazione dei membri della comunità

La decisione del padrino mafioso o quella del dirigente paternalista possono essere legittime se esse incidono sulla situazione degli individui più delle decisioni prese dalle autorità politiche democratiche. E’ la situazione che si trova per esempio, quando il potere pubblico si ritira da certi spazi, o quando si rivela privo di mezzi. Allo stesso modo, l’esistenza di un processo di esclusione di diritto o di fatto (impossibilità materiale concreta per gli individui di partecipare al sistema), che sia interno o esterno, (un sistema esterno che spodesta il sistema della comunità), infragilisce d’altrettanto le decisioni che devono essere prese.

Citazioni

Jacques Sapir, “(III) Légalité, légitimité et l’ordre démocratique”, billet publié sur le carnet Russeurope le 27/01/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/767

[1] C. Schmitt, Légalité, Légitimité, traduit de l’allemand par W. Gueydan de Roussel, Librairie générale de Droit et Jurisprudence, Paris, 1936; édition allemande, 1932p. 47.

[2] Idem, pp. 59-60.

[3] J. Sapir, “Théorie de la régulation, conventions, institutions et approches hétérodoxes de l’interdépendance des niveaux de décision”, in FORUM A. Vinokur (ed.), Décisions économiques , Économica, Paris, 1998, pp. 169-215. Idem, Quelle économie pour le XXIè siècle?, Odile Jacob, Paris, 2005, chap. 1.

[4] E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, PUF, coll. Quadriges, Paris, 1999 (première édition, Paris, 1937), pp. 112-115.

[5] G.L.S. Shackle, “The Romantic Mountain and the Classic Lake: Alan Coddington’s Keynesian Economics”, in Journal of Post-Keynesian Economics, vol. 6, n°1, 1983, pp. 241-257.

[6] N.P. Chapanis et J.A. Chapanis, “Cognitive Dissonance: Five Years Later” in Psychological Bulletin, vol. 61, 1964. G.A. Akerlof et W.T. Dickens, “The Economic Consequences of Cognitive Dissonance”, in American Economic Review, vol. 72, n°1, 1972, pp. 307-319.

[7] G.L.S. Shackle, Decision, Order and Time in Human Affairs, Cambridge University Press, Cambridge, 2ème edition, 1969..

[8] G.L.S. Shackle, Expectations in Economics, Cambridge University Press, Cambridge, 1949. Voir aussi, J.L. Ford, Choice, Expectations and Uncertainty, Martin Robertson, Oxford, 1983.

[9]Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune“, cité d’après M. Duverger, Constitutions et Documents Politiques,  PUF, coll. Thèmis, Paris, 1971, p. 9.

[10] J’ai abordé en partie ce point dans : Jacques Sapir, “Un “marché” des nationalités ou de quoi Arnault, Bardot et Depardieu sont-ils le nom”, billet publié sur le carnet Russeurope le 10/01/2013, URL: http://russeurope.hypotheses.org/713.

[11] Pour un exposé prècis des conceptions d’Habermas, S. Benhabib, “Deliberative Rationality and Models of Democratic Legitimacy”, in Constellations, vol.I, n°1/avril 1994.

[12] J. Bodin, Les Six Livres de la République, Réimpression, Scientia Aulem, Amsterdam, 1961..